✧,, immortal ghosts ❪ daeho ❫

— huit mois, deux semaines, trois jours et sept heures.
c'est le temps qu'il lui aura fallu pour enfin se décider à lui rendre visite.
le temps dont elle aura eu besoin pour se convaincre qu'il était bien parti. qu'en se rendant au colombarium où son urne repose à côté d'une photographie d'un homme souriant et de sa femme muette, elle ne le trouverait pas là, adossé au mur, un sourire satisfait pendu aux lèvres, attendant patiemment son arrivée - que sa pire hantise ne deviendra pas réalité.
huit mois, deux semaines, trois jours et neuf heures.
le temps écoulé depuis son dernier souffle.
deux heures de passées clouée au trottoir devant ce bâtiment cauchemar à pas réussir à se décider - rester ou rentrer.
huit mois, deux semaines, trois jours, neuf heures et vingt-huit minutes.
et le pas de la porte qu'elle se résout enfin à franchir, les paumes trempées et les genoux chancelants - une peur vorace s'emparant de ses entrailles.

rien a changé.
de cette photo qu'elle se souvient avoir choisie à l'angle du cadre entreposé dans la petite alcôve.
rien a changé, parce que personne n'est venu.
et personne n'est venu, parce qu'il n'avait plus qu'elle.
et que keiko, elle avait décidé de l'oublier.
de garder dans son rétroviseur tout ce qu'il avait bien pu lui infliger ; de tout ces mensonges, ces manipulations et de ces constellations laissées sur l'épiderme.
mais à voir cette urne solitaire délaissée de la terre entière, elle peut pas s'empêcher d'avoir pitié - et de s'en vouloir de toujours être aussi faible face à son bourreau sempiternel.
elle saurait pas le discerner, keiko. si les larmes qui roulent alors sur ses joues en torrents incessants sont de tristesse, de frustration ou de rage - sentiments mêlés dans l'esprit embrumé.
i hate you. de murmuré les poings serrés dans ses sonorités natales, le japonais qu'il n'a jamais daigné apprendre à parler.
i loved you. d'avoué dans cette langue étrangère devenue seconde peau - syllabes de la péninsule remplaçant celles insulaires.

Aphrodisiaque mélodie, la danse mortuaire s’amourache de cette somptueuse symphonie. Palpitant agonisant dans cette souffrance indélébile. Les hurlements internes s’émoussent dans des maux préjudiciables, les diamants chutent de leur voilage de cil. L’érosion d’une âme agonisante au travers des souvenirs, des chimères de l’esprit. Psyché chialant sa fatalité devant le dernier soupir d’un idylle fantasmagorique. Le tremblement d’un parcelle de ses lèvres sous l’angoissante réalisation d’un évidant départ. La pulpe de son doigté choie cette vitre sous l’ébauche d’une caresse. La cruauté s’émerveille des damnés de leur propre tragédie. Ses fibres osseuses se froissent, ses ongles orchestrent un simulacre de griffure sur la surface translucide. Les pétillements de ses oeillades s’estompent sous la dominance d’un contrôle omniprésent. Une lingette à la fragrance citronnée s’évadait de sa veste pour éponger la souillure des bactéries de son impudent doigté.

Toutefois, une parole profanait son instant de plénitude ainsi que de recueil. Défunte génitrice qui lui inculpait le baiser d’une bienveillance pour honorer ses principes. Le tintamarre des névroses psychiques d’une dulcinée peinée par son propre déni. Des palabres aux effluves de nombres langues, une originaire d’un voisinage proche. Quelques pas furent orchestrés en direction de cette essence blotti de sa solitude. La finesse de sa senestre venait quérir un mouchoir à l’immaculée tissu d’une richesse lisible. Délicate attention bâclée, l’audace d’un maniaque sans attache déposait la beauté du geste sur le haut de la chevelure de la dulcinée. De cette imperturbable droiture, le tortionnaire ne daignait guère à comprendre une quelconque aversion prochaine de cet élan de générosité factice.

« Que ce lieu de prières soit symbolisme de silence. Ne profanez guère la quiétude du moment. Si vous désirez ébruiter votre tragédie, étouffez-le au travers de ce mouchoir. »

Monstruosité des réticences, l’abomination ne sait guère conforter les pauvres âmes brisées. Son timbre de voix brutalise les ouïes des abandonnés, l’ordre semble écorchant et pourtant, une pointe de générosité se cache derrière cette effronterie.

— c'est doux entre ses doigts. trop.
ce carré tissé d'une matière trop précieuse pour ses phalanges calleuses, celui que cet inconnu a osé lui brandir comme un dernier acte de miséricorde - comme si son malheur était gênant et qu'elle devrait s'empresser de le cacher pour protéger les mœurs de cette muraille de glace se tenant à ses côtés.
et aussi brusquement que cela, la tristesse s'enracine entre ses côtes, prend résidence dans les plus profondes crevasses de son thorax - laisse fleurir en son sein des bourgeons d'une rage écarlate qui ne réclament qu'à planter leurs épines sous l'épiderme de cet inconnu effronté.
j'hallucine. les syllabes dépassent à peine la frontière de ses pulpes, viennent s'effondrer à la commissure de ses lèvres - l'ampleur de cet affront qu'elle tente tant bien que mal d'amenuiser avant de laisser toute sa fureur s'écrouler à ses pieds. mais les poings se serrent autour de ce tissu si précieux et la cruelle douceur glissant contre l'épiderme rude de sa paume ne fait que raviver les flammes de sa frénésie.
vous pouvez le reprendre, votre mouchoir. et elle lui tend le tissu pendant toujours de son poing serré, les phalanges devenues d'ivoire sous la force employée. je vous laisserai chercher entre les plis l'empathie que vous semblez avoir égarée. d'un geste habile, elle vient déposer le carré immaculé sur l'épaule de l'inconnu, ayant bien trop rapidement compris que tout contact avec elle et sa tragédie semblait l’écœurer au plus haut point.
je suis sûre que tu trouves ça drôle. qu'elle murmure cette fois en direction de la photo se trouvant dans l'alcôve funéraire, les syllabes nippones dégringolant à nouveau de pulpes tirées en un rictus médusé.

Elogieuse dulcinée offusquée par d’abjectes paroles. Néanmoins la beauté de cette tragédie, la douceur d’un mouchoir brodé accorde un réconfort éphémère. La symbolique d’un agacement certain, un doigté écorché par démentielle pression. Une écorchure dans les mots, le timbre de voix vacille entre les charnues de la demoiselle. Toutefois, un soufflement du nez ébruitait l’amusement du héros. Une douce répartie quand le coeur de la dulcinée s’émiettes dans son agonie. Scintillante fatalité. De ses traits imperméables à toutes émotions, la procréation d’une fine esquisse choyait ses lippes. Le doigté cueillait ce tissu pour l’ôter de cet emplacement inadéquate. L’apparition d’une délicate poigne sur l’épaule de la nippone, un pivotement orchestré dans une doucereuse tendresse. Le mouchoir s’octroyait la bonté du velour pour éponger les traces de diamants liquides sur les pommettes ainsi que les oeillades de la jouvencelle. Une minutie dans cette action purement improbable, un brin de bienveillance s’amourachait de cette entrevue avec la mort.

« Détrompez-vous, l’empathie ne s’évade jamais bien loin de l’humanité. C’est l’humanité qui lui tourne le dos pour se protéger de son prochain. Mon altercation en votre compagnie n’est guère pour anéantir le peu de courage qui vous reste. Je vous demande juste de faire cesser cet écho qui raisonne en moi. Alors, cessez de pleurer. Le monde est bien trop cruel pour vous laisser sombrer dans la déliquescence.  »

Doigté ôté, mouchoir de nouveau dans la dextre dont l’inquisiteur avait séquestré pour lui adonner ce présent sans son consentement. Quelques pas s’illustraient comme l’ébauche d’un éloignement, les respectueuses salutations pour un défunt inconnu.

« Si vous ne désirez aucunement ce mouchoir, jetez-le. »

— immobilisée.
paralysée par ce toucher étranger, parasitaire et si destructeur.
parce qu'elle peut reconnaître la douceur qu'il essaie d'insuffler à ses gestes, une pointe d'empathie qu'il tente de montrer malgré les palabres si distantes - parce qu'elle sait consciemment qu'elle n'est pas en danger ; mais le subconscient tente tout de même de la protéger.
alors elle se prépare à contre-attaquer, les muscles qui se crispent alors qu'elle analyse chacun de ses mots, décortique les syllabes pour éviter d'être prise au piège. elle n'y trouvera que le reflet de ses propres peines, un malheur inavoué qui souhaite se morfondre en silence.
ce n'est que quand son toucher quitte enfin ses membres qu'elle permet à ses défenses de s'abaisser, d'enfin se remettre à respirer ; les muscles se relâchent alors qu'une douleur persistante s'est ancrée dans sa nuque.
le monde est peut-être cruel, mais il l'était encore plus. un long soupir s'échappe de ses narines et ses poumons se vident doucement de tout leur oxygène pour n'y laisser qu'une sensation de brûlure si familière - de celle que son mari laissait toujours sur son passage quand elle devait se retenir de respirer ; quand le fracas de son existence ne mènerait qu'à sa violence. alors vous m'excuserez si j'ai du mal à me retenir de pleurer devant l'urne de celui qui était plus bourreau que mari. un reniflement indigne résonne dans la pièce voûtée, son regard ardant quittant enfin les traits de cet présomptueux inconnu pour tomber sur ceux de son mari oublié. même si cela rend mal à l'aise un parfait inconnu.