♡,, glass bridge ❪ keiko ❫

— un verre,
encore,
ce whiskey comme amère liberté.
parce qu’il n’y a désormais nulle part où se réfugier - ce monde qui désormais l’observe, la regarde, scrute les moindres détails, à chercher les failles sur sa peau desséchée.
parce que c’est pour elles qu’on l’adule désormais - la vilaine à la porcelaine brisée, à masquer cependant la nécrose de ses blessures pour mieux passer à la caméra.
vie en lambeau devenue produit marketing.
mais ici les projecteurs sont loin, pas vrai ?
ici on ne garde que l’agonie des vivants, qui cherchent à boire un peu moins la tasse en se noyant dans d’autres océans - l’alcool en fausse rédemption pour se lever le lendemain et poursuivre cette vie qui finira sans doute par la lasser.

un soupir lui échappe tandis qu’elle termine le contenu de sa boisson ; les glaçons tintent contre les parois de verre comme appel pour une autre boisson.
elle retrousse un peu le nez tandis qu’elle t’interpelle ; toi, la porteuse de ces délivrances régulières.
elle a pas vraiment compté pour combien de fois elle s’est retrouvée ici - trois peut-être - mais l’animation ambiante porte un voile pourtant silencieux sur ses sens.
ça fait du bien d’être personne.
ça fait du bien de pas être l’animal qu’on épie, la terreur qu’on exhibe, le monstre qu’on veut dévoiler recouvert de cette couche sucrée de ce qu’est sa réalité.
(on glorifie ses plaies. on glousse à sa façon de parler.
on rit parce que la voir ainsi ça parait loin de la réalité -
ils savent rien à rien putain).
“eh.” y’a pas vraiment d’amabilité. elle cherche pas la merde non plus parce qu’elle a pas l’énergie de se battre contre ceux qui semblent lui servir de garde du corps - des habitués qui semblent presque faire parti des meubles, des pirates avec des toiles d’arraignées tatouées. “can you pour me a last one?” (donne moi en un autre, que je puisse accueillir l’horizon ivre d’une vie pas méritée.)

— elle t'observe depuis quelques temps déjà.
assise, là, à son bar.
une lueur dorée dans cet océan d'anthracite.
toi, la belle au regard de glace et aux traits saturés de rage écarlate.
elle le voit si clairement, alors que tu draines tes verres. elle le discerne si nettement, que tu respires un peu plus profondément à chaque gorgée - que le red strings t'offre la bouffée d'air frais dont t'avais désespéramment besoin.
et keiko, au fond, elle est fière. fière de pouvoir t'offrir ça.
toi, l'inconnue à la myriade de facettes et à la politesse disparue.
même si tu préférerais sûrement crever plutôt que d'lui avouer.
même si tu préféreras te la fermer plutôt que d'lui parler, de la laisser panser les plaies que t'as laissé à vif - celles que tu penses sûrement avoir bien cachées sous un vernis pourtant trop terne.

alors elle ressort la bouteille de liquide ambré quand tu lui demandes un dernier verre, l'accompagne d'un autre vide à ses côtés qu'elle remplit aussi de moitié avant de venir elle-même l'empoigner.
et elle te le tend, silencieusement. t'invite à trinquer, le regard infini qui s'incruste dans chaque fissure.
et elle attend, patiemment.
que t'aies le courage de prendre la main qui t'est tendue. de laisser tes phalanges serpenter les siennes et lâcher prise le temps d'une gorgée - que le fardeau qui couronne tes épaules se mette enfin à vaciller.

— hazel elle se demande parfois ce que ça fait.
d’avoir une auréole dorée - cette aura scintillante qui pousse les gens à sourire, à se plier.
elle se demande ce que ça fait de déposer son coeur sur sa main, l’offrir aux autres en le sentant encore battre dans sa paume, sans craindre de se le faire arracher.
elle aura abandonné tous ces aspects il y a des années déjà, se détournant de cette voie, acceptant d’être damnée pour l’éternité.

elle trouve ça curieux.
les gens comme toi - ceux qu’ont l’espoir naïf et criard de pouvoir retirer quelque chose de bon même dans le plus déplorable.
elle se demande si c’est la candeur, la bêtise, l’altruisme d’une femme qu’a sans doute trop à donner.
elle a envie de te murmurer que tu devrais fuir. prendre tes jambes à ton cou avant qu’on ne te prenne tout, avant de se dire que c’est peut-être déjà le cas.
il reste peut-être chez toi que ça ;
un sourire.
une voix chaleureuse.
chez hazel il ne reste que ce que tu vois : alors casse toi. elle pourrait bien tâcher l’immaculé de ta peau.

mais tu fais l’exact opposé. tu t’échoues à ses côtés comme si y’avait quelque chose auquel se raccrocher, comme si elle avait quelque chose à offrir ou donner.
elle retrousse le nez, hazel, parce que ça sonne un peu creux de trinquer avec une inconnue -
elle a pas de récit à raconter.
ses tragédies à elles resteront à jamais méconnues.
perdues dans les méandres de texte qu’elle ne se répète qu’à elle même, qu’elle espère un jour oublier.
(ce genre de vie ça fait pas rêver.)
“if you wanna chit chat i’m not the right person.” elle dit ça presque avec dédain, observe ton verre tendu avant de refuser le geste amical et boire une gorgée de son propre breuvage.
(jsuis pas une amie.
pas une épaule.
pas une inconnue prête à raconter sa vie.)
“there’s planty of people here that would be glad to talk with the owner you know.”
pas elle.
et elle en est pas désolée.

— une femme à la dérive.
isolée.
abandonnée.
et qu'a pourtant tout à donner.
une ancre elle-même sans point d'amarrage.
une bouée qui s'est perdue dans la marée.
keiko.
la femme qu'aurait tous les droits de devenir fantôme, mais qu'a tellement perdu qu'elle ne peut s'empêcher de vouloir tout sauver.
comme toi, qui semble si prête à laisser ta carcasse dépérir.
comme toi, avec tes yeux d'onyx et ta mâchoire serrée.
comme toi, qui tente si désespéramment de la repousser.
tout ce qu'elle entend dans tes syllabes caustiques, c'est un appel à l'aide que t'as pas encore le courage de faire de vive voix - un signal de détresse dont t'essayes de cacher l'incandescence dans ton poing serré. mais y a la lumière écarlate de cette fusée de détresse qui s'échappe d'entre tes phalanges devenues d'ivoire - l'écho de ta misère que tu peux pas dissimuler. il résonne de tout son chagrin contre les quatre murs du red strings, l'onde de choc qui vient s'écraser contre les tympans de la patronne.

c'est un léger rictus qui vient tirer à la commissure de ses lèvres à ton refus.
parce que c'était si prévisible que le contraire l'aurait étonnée, qu'elle ne te connait pas et pourtant c'est comme si ça faisait des années.
stubborn woman. de susurré dans ces consonances japonaises autrefois si familières, celles qu'elle utilise si peu que leur poids devient parfois étranger sur ses papilles.
ses yeux ne quittent pas ton visage alors qu'elle vient s'adosser au mur adornant des dizaines de bouteilles, le verre qu'elle apporte à ses lèvres pour en boire une gorgée.
and yet i'm here, talking to you. elle vient pencher la tête comme pour t'observer, l'esquisse d'un sourire effleurant ses pulpeuses. although to be fair, you were the only one talking up until now. i was simply... standing there.
le liquide ambré retrouve le chemin de ses papilles, les recouvre d'une couche si âprement alcoolisée - si délicieusement salvatrice. silently keeping you company. de murmuré rien que pour toi, un secret que personne d'autre n'a besoin d'entendre. et comme pour accentuer ses propos, elle détourne enfin le regard et attrape un torchon qui traînait par là, commence à distraitement nettoyer le plan de travail tout en buvant quelques gorgées.
et la patronne tient sa promesse, garde ses lippes scellées.
te donnant à toi seule le pouvoir de briser ce doux silence accordé.

— acculée. sans doute.
à chercher une once de réconfort dans le silence de l’enseigne; là où la solitude l’épouse de nouveau sans pour autant l’étreindre.
à se sentir moins observée.
moins calculée.
une ombre qui se fond dans les interstices du bois usé du bar, gorgé par les échanges de boissons, les rires et les pleurs qui s’y sont échoués au fil des années.
ici elle peut être (personne) durant une poignées d’heures sublimées ;
à s’retrouver face à ce désespoir qui l’habite et la consume avec avidité.
(et ça la réconforte,
quelque part ;
ce vide ça fait des années qu’elle le cotoîe,
des années qu’il s’épanouit entre ses côtes et la dévore)
elle est sans doute pas prête à le partager.
pas prête à tendre l’oreille et rompre cet instant de répit qu’elle s’offre dans ce quotidien maudit.
y’a que l’aigreur qui marque ses traits. ce froid gelé d’hiver qui l’habite sans jamais trouver son printemps - pas comme toi, où semblent bourgeonner quelques fleurs au rebord de ton visage.
t’as pas besoin de parler pour qu’elle devine ta douceur.
pas besoin de l’ouvrir pour qu’elle y déniche cette compassion vivace au rebord de tes lèvres, mêlée sans doute à une once de curiosité.
(hazel saurait pas les combler)

alors elle hausse vaguement les épaules.
ne daigne pas répondre à la réplique - tout ce qu’elle fait c’est encore avaler une gorgée, se délecter du liquide ambré chargé d’effacer la crasse du quotidien, celle entassée sous ses yeux, sous ses ongles, sous sa peau. “didn’t ask for it.” qu’elle lâche, le regard vissé sur le plateau de bois en noyer, son verre laissant une trace humide dans son sillage - qui s’estompera comme toutes les autres avant elle, prêt à accueillir la prochaine âme. “i’m not good company either.” hazel n’est pas de ces personnes qu’on finit par apprécier, plutôt qu’on préfèrerait oublier.
elle laisse un arrière goût âcre, désagréable.
dont on a du mal à se débarrasser.
“or you’re more desperate than me.” après tout, chacun porte son lot de malheurs.

— y a quelque chose en toi qu'elle ne peut s'empêcher de vouloir sauver.
parce qu'elle se reconnaît dans la froideur de tes syllabes, qu'elle entend l'écho d'une keiko qu'elle côtoie encore trop souvent ; de cette femme fantôme qui erre les rues d'une capitale insomniaque, le vrombissement de son moteur comme seul moyen de faire taire l'encéphale.
elle t'en veut pas de choisir ces phrases caustiques comme derniers remparts, les épines de chaque mot qui se plante sous ton épiderme autant que dans le sien. c'est une mort à petit feu que de se laisser dépérir jusqu'à ne devienne qu'aigreur, de laisser la vie te drainer de chaque morceau de joie jusqu'à n'être plus que carcasse. elle le voit dans la courbe de tes épaules que c'est qu'à ça que t'aspires - que s'il ne restait que tes os, t'espérerais devenir poussière pour enfin être dispersée au vent.
mais y a ce besoin tenace de te sortir de ce trou noir qui s'empare de ses synapses, comme une mission qu'elle se doit de remplir pour justifier d'encore être là ; parce que si elle arrivera sûrement jamais à se sauver elle-même, elle espère encore pouvoir aider à raviver la flamme au fond de tes pupilles.
how about you let me decide that for myself, yeah? patronne insensible aux rumeurs abjectes et ragots foisonnant les rues, elle a toujours été de ces personnes qui forment elles-mêmes leurs propres opinions ; s'y tiennent une fois qu'elles sont ancrées. des perles de rire survolent ses pulpeuses, éclatent en une courte symphonie cristalline. it's not desperation. parce qu'elle pourrait très bien décider de t'ignorer et de passer à autre chose, de te laisser voguer sur les vagues de ce désespoir dans lequel tu sembles si prête à te laisser noyer. moreso morbid curiosity. une pointe d'humeur qu'elle ponctue d'une gorgée. parce que si t'es si déterminée à te laisser dévorer par ce nuage anthracite survolant ton âme, elle peut au moins se permettre d'en plaisanter.