[ inner peace ] — orion&sujin #1

l'indifférence sévit comme un voile de persécution macabre dans les allées (et venues) aseptisées du centre ; mouvements mécaniques, répétitifs, de l'ordre de la déshumanisation quand seule la distance assure un minimum de protection ; voile posé sur les prunelles sombres - à outrance, délibérément ; qu'accueillir la souffrance ne pouvait être fait sans humilité mais que celle-ci manquait cruellement parfois (trop fine, trop faible, trop floue) au détriment de ceux qui, l'âme meurtrie, cherchaient à tort du réconfort. la matinée est calme. peut-être un peu trop calme. quand les heures s'étirent en paresse, ce n'est jamais bon signe. tôt ou tard, c'est l'inverse qui se produit et les minutes ne suffisent plus à réduire les états de détresse. Sujin le sait bien, il est habitué ; à ces rythmes irréguliers, ces montées d'adrénaline soudaines et ces langueurs apathiques qui forment ensemble un équilibre presque routinier sur lequel il a appris à avancer. pour l'instant, il souffle doucement sur un café brûlant récolté à la machine de l'entrée tout en consultant les dossiers des nouveaux arrivants. le manque de sommeil se fait sentir et, par inattention, le voilà qui se brûle le bout de la langue. au moment même où il éloigne le breuvage coupable, un rictus contrarié sur les lèvres, les alarmes d'urgence retentissent signant la fin du repos - le début du chaos. dans l'effervescence, pas de confusion. la coordination est la clé d'un travail efficace, aussi chacun est à son poste et à sa place ; les mécaniques sont bien huilées, aucune fausse note n'est tolérée d'autant plus quand des vies sont en danger. des informations parviennent en vrac, incohérentes et discontinues ; mais l'inquiétude affronte un stoïcisme endurant. et s'il perçoit, dans la foule qui l'entoure, des émotions diverses, aucun ne vient troubler le fonctionnement général. l'attente, gorgée d'angoisses, impose le calme.

((not for long))
violentes bourrasques, comme des lames de fond venues étreindre son cœur sans pitié ; l'horreur se dessine bien vite et se saisit de son être brusquement, si bien qu'il en a le souffle coupé. assailli par ces douleurs assassines, cette colère qui camoufle des peurs paniques, des traumatismes profondément ancrés, il doit calmer sa respiration devenue lourde et difficile pour s'avancer là où son intuition le guide. slalom instinctif entre collègues et patients, un sentiment hurle en lui, tel un puissant rejet, et c'est les jambes tremblantes qu'il finit sa course, arrachant presque le store séparateur de box, essoufflé et pris de court par la violence de ce qu'il ressent. — STOP IT! l'injonction s'extirpe de sa propre bouche sans qu'il ne sache la retenir. les yeux exorbités, il fixe un mirage aux réminiscences d'un passé qu'il n'aurait jamais oublié, avant de sentir les regards interrogateurs sur sa propre personne et d'y faire face. les chocs s'enchaînent, et si le myocarde bat à tout rompre, malmené, contre sa cage thoracique, il réussit à s'expliquer. —— i know him, it's ok. don't sedatate. i can handle it. les mauvaises décisions sont souvent prises sous le coup de l'impulsion. Sujin a beau le savoir, à cet instant précis, il n'est pas en mesure de prendre sur lui. pêle-mêle d'émotions mélangées, le voilà perdu au milieu d'eaux tumultueuses ; sa colère, sa surprise, sa peine, sa douleur, ses questions. le vide. il ne reste plus qu'à faire appel au vide. le souffle court, les prunelles charbonneuses se plongent sans retenue dans les iris sauvages, en quête de souvenirs et de soutien.

« - Fuck off I'm fine, I can manage this shit myself.
- Paperthin, sir, you're not, please let me do my job or I'll have to take measures. » Ce n'est pas de la faute de l'infirmière si elle récolte les fruits d'une humeur massacre. Si elle fait face à des ondes mauvaises et une impossibilité à simplement faire son travail. La faute incombe à tous ces autres, ayant eux aussi fait leur travail au fil des années. Le temps a métamorphosé les aides en menaces qu'aujourd'hui toute la logique dont peut être doté Paperthin ne parvient plus à peindre autrement qu'aux couleurs de maux révolus qu'il n'entend plus vivre à nouveau.

Les battements de son cœur laissent pulser des grondements d'adrénaline, d'une violence contenue par des dents serrées mordant nerveusement les derniers filins de sa patience avant qu'ils ne se déchirent. L'entaille lardant sa cuisse dégueule son flot carmin, teinte le jean poisseux collant à la peau. Mais Paperthin ne sent rien. Il ne sent jamais rien. Le mod est une aide qu'il a été jugé utile de lui rendre mais l'enfant soldat sait, que sa caste endure et jamais ne bronche. La prison lui a appris, l'indolence, a poussé tous ses curseurs à un maximum frôlant l'inhumain. Sa liberté, à conjuguer au pluriel à présent, n'a pas eu le temps de lui rendre les habitudes de ces êtres humains dont il n'a jamais vraiment fait partie.
Encore moins maintenant.

L'infirmière tente une nouvelle approche, menace éclatante d'une seringue que la main du héros se refermant contre son poignet fait s'envoler sur le sol. Elle cliquette et on peut presque entendre le murmure des os chantant une alerte que la jeune femme traduit par son autre main agrippant les doigts de Paperthin.

« - I'm sorry, but you really have to calm down or I... » L'injonction éclate, bombe au-dessus du chaos. Elle fige, elle comme lui. Les regards se tournant immédiatement vers une autre blouse blanche qui les fixe.
Le fixe.
Lui.
Paperthin. Ou Orion, il ne sait plus.
Il fixe en retour cette image d'un passé flou aux couleurs délavées, triste à pleurer.
A oublier.
Les lippes d'Orion se pincent et lentement, il détache sa prise. L'infirmière souffle, lui accorde un regard si noir qu'un frisson fou lui mord l'échine, accompagne le sourire taillé à la même humeur venu s'échouer sur ses lèvres. Et le temps se fait lent alors qu'il tente de remonter le fil d'Ariane fatigué de sa mémoire.

Who are you ?
A la manière dont la blouse blanche le regarde, Orion estime qu'ils ont été proches. Que les souvenirs sont d'une valeur inestimable et qu'il est presque scandaleux de les avoir ainsi effacé. Les sourcils se froncent, sang aux tempes rugit plus fort et les traits de son visage se ferment à la manière des portes de son âme comme pour s'en protéger.
Les ennemis sont plus faciles à trouver que les alliés.

« - You can't handle me, white shirt, no one can. » Un rictus amer vient froisser la surface papier de ses babines lorsqu'Orion décide qu'il n'a plus rien à foutre ici. L'entaille se résorbera toute seule, il en suturera les contours de petites agrafes de papier. Ce n'est que lorsqu'il s'apprête à pousser de ses paumes contre la table d'examen pour en descendre qu'un frissonnement discret vient agiter le livre de ses souvenirs.

« - Hold on a sec... I know you. » Main mortifère se tend en direction de l'infirmier, les gants sont restés dans la poches de son jean abîmé. « - The fuck, Sujin ? »

« - You can't handle me, white shirt, no one can. »

white shirt ; l'appellation résonne froidement, d'une manière presque lugubre, à ses tympans. l'uniforme sacrificiel s'élève comme une muraille infranchissable entre le blessé et celui qui le porte — faussement sauveur. joli trompeur. les émotions, elles, ne savent pas mentir ; elles s'écoulent sans retenue des plaies ouvertes, déversent leurs peines et souffles de colère dans un mouvement discontinu de vagues qui le percutent comme des lames de fond — écorché vif.

yeux dans les yeux ; tandis que les souvenirs remontent à la surface lentement, le rapport de force semble avoir changé de protagoniste si bien que l'infirmière s'éloigne en soufflant pour montrer son mécontentement (quand elle est en réalité soulagée de quitter l'endroit). entre ses paumes, elle place une nouvelle seringue et s'y attarde une demi-seconde comme pour lui insuffler le courage qu'elle n'a pas ou pour le remercier de son intervention et de sa considération — il la sent soulagée.

« - Hold on a sec... I know you. The fuck, Sujin ? »

il n'y a pas eu d'amorce de mouvement, juste un regard doux et conciliant qui vient masquer les émotions diverses ressenties. — You should put your gloves back on your hands. avant de blesser, les autres et lui-même. et ce n'est qu'une fois le rideau de séparation abaissé, que ses épaules suivent le même mouvement, attirées par le sol à leur tour. les muscles, tendus, se relâchent brusquement. — You need a blood transfusion. will you let me do it ? ; si la question ne passe pas la barrière de ses lèvres, ce sont ses yeux qui le questionnent. et la tendre affection qu'il ressent, chaleureuse amie du passé, l'étreins avec une saveur d'antan qu'il savoure un instant en le fixant.

— It's me, yes. It's been a while. et ce petit rictus qui étire ses lèvres, d'un mouvement sincère et naturel, tente de briser la glace qui n'a pas de raison d'être érigée entre eux. le tohubohu de l'hôpital semble soudain lointain, comme effacé au profit de ses retrouvailles surprises. petit élan, Sujin fait un simple pas et lève la paume de sa main où gît la seringue. — Will you let me take care of this ? il n'y a pas d'animosité, pas de menace (il n'y en a jamais), juste une réelle considération et une envie de soulager, autant qu'il le peut, son ami.

« - There's no need for... » Une expiration hachée, lourde d'une réalité frappant aux tripes, Orion abdique. Récupère ses gants pour y glisser ses mains mortifères sous le murmure du crissement du cuir renforcé.
« - Seriously ? » Souffle le mercenaire, relevant un instant les yeux vers l'infirmier, l'éclat mat de son regard noir sondant le sien, à s'immiscer avec l'ardeur d'un monstre de cauchemar jusqu'à tréfonds de son âme. « - Is it not overeacting ? I mean, it's a slice in my thigh, no big deal I've seen worse, I'm not even feeling it. » Mod activé sauvant bien des finalités plus sombres, Orion lève un sourcil face à la réponse.
Ressent un remoue au creux du ventre. Comme la langue tranquille d'une vague venant se dérouler sur une plage léchée de soleil. Elle est tiède et douce, encapsule la torpeur de souvenirs révolus. Elle tangue sous la surface de cette mer polaire forgée par les années emprisonnées, distille des ondes lentes d'un soulagement et d'une affection encore intacte sous la couche de poussière.

They were so young back then.
Si différents de ce qu'ils sont à présent. De ce visage qu'Orion détaille avec un intérêt certain, constant que le sourire sur les lèvres est resté le même. Que si le temps a fait son œuvre sur la structure du visage, elle reste reconnaissable et n'a fait que se bonifier.
Le pas en avant active une alarme. Laisse un frisson mordre sa peau et le cœur se crisper violemment à la vue de la seringue. Le recul est immédiat, presque brutal, les doigts s'agrippant au rebord de la table d'examen et les mâchoires se serrent. Crispent tout un visage d'une terreur sourdre que l'on peut entendre gratter tel un vers sous la peau et les muscles tendus.

« - Please, don't, come any closer with this in hand, I don't need it... Really, I'll behave, but, just put it away. » De ces traumatismes hurlants dont il ne se défera jamais, malgré toute la confiance qu'il porte en cet homme qu'il scrute encore un moment. L'oeil noir semblant s'apaiser lorsqu'il accepte de se laisser aller contre le dossier relevé de la table d'examen.

« - A... That's my bloodtype. » Souffle-t-il du bout des lèvres, à la manière d'un aveu de faiblesse que l'on offre en hésitant, en cadeau face à cette tendre affection qu'il semble deviner au fond du regard de Sujin et qui vient s'enrouler au creux de son ventre. Eveille la sienne, la sincérité d'un soulagement immense dont il n'a pas conscience et qui délit, lentement, les nœuds de tension bousillant son corps.

« - So you made it through all the medical stuff in the end. You look good. » Un sourire ponctue le constat. Il est aussi doux qu'il est fragile, de ces intimes qu'Orion offre avec parcimonie et dont la valeur n'en devient qu'infiniment plus grande.
La peur reste, elle bat au rythme de son cœur cognant toujours contre les côtes. Contre ce malaise qui l'étreint et étouffe, mais cette présence appose un baume inattendu sur des blessures que même une éternité entière ne saurait refermer.

— Just because you don't feel it doesn't mean it's not important. The cut is close to the aorta, and depending on how deep it is, it's more or less serious. Mods can be misleading.

c'est avec un calme presque olympien qu'il lui répond, sans se départir de son regard doux et conciliant. il avait cruellement conscience, sujin, de ce qu'il pouvait représenter à cet instant ; après tout, l'appellation aseptisée avait décrit la situation avec une précision chirurgicale à laquelle il ne pouvait se soustraire. ici, il n'était qu'une blouse blanche, une de plus. pour beaucoup dépourvu d'émotions et agissant comme un diable masqué inspirant plus méfiance qu'autre chose. car, et il le savait mieux que quiconque, la peur paralysait la raison des hommes, venant ternir leur jugement jusqu'à ce qu'ils confondent le bien du mal, le soin du nuisible.

d'aucune façon alors il n'aurait pu lui en vouloir, qu'il soit inconnu ou non. paperthin ; et les doigts se faufilent docilement sous le cuir, réduisant les menaces à néant — ne s'était il pas senti menacé, pourtant.

recul — l'inversion des rôles pourrait paraître étrange. que lui, simple humain (en apparence) devienne le péril du héros dont les exploits éclaboussaient encore le monde de ses souvenirs brûlants — jusqu'à la chute, sanglante. il avait suivi, Sujin, de son regard larmoyant et impuissant la descente aux enfers de son ami ; et alors qu'il peinait à soutenir sa propre croix, un sentiment coupable avait alors écrasé sa poitrine — de ne pouvoir, cette fois-ci, être là pour lui. et que s'était-il passé ces huit dernières années pour que cette peur lancinante s'installe et gangrène en son être, le terrorisant entièrement à la simple vue d'une seringue qui, autrefois, l'aurait fait simplement soupirer ?

l'urgence n'en était plus réellement une, après tout. l'agressivité partie, ne restait plus qu'à parlementer et trouver la meilleure façon de fonctionner. en tombant dans le récipient métallique, la seringue cliquète d'un son particulier — désagréable. cela lui permet de s'approcher davantage, de réduire cet espace pour mieux le combler de sa présence. — Let me look at the wound. et sans attendre de réponse, le voilà qui se penche au-dessus de la blessure suintante, autour de laquelle un bandage de fortune avait été serré ; très certainement pour réduire l'hémorragie. « - A... That's my bloodtype. » I remember, s'empêche-t-il de répondre. à la place, un sourire, toujours plus chaleureux. car s'il maîtrise ses émotions, Sujin, c'est une tendre moiteur qui s'enroule autour de son cœur, incomparable à aucune autre, à l'idée de pouvoir reprendre là où tout s'était brutalement arrêté. cette perspective l'étreignait d'une euphorie éclatante ; que le destin puisse faire à nouveau se croiser leurs chemins.

« - So you made it through all the medical stuff in the end. You look good. » — Do i ? petit air mutin, plein de malice qu'il ne retient pas lorsque son visage se tourne vers le sien. — I can't tell the same. You look awful. Let me heal you, please. That's more serious than it looks. son sourire avait pour réputation de venir à bout des patients les plus récalcitrants, et il avait tendance à user et abuser de ce charme là, toujours à bon escient. — I can give you some oxygen to relax, if you like. You'll get a little high. Like a bonus.

Clochettes de la Mort. Cette foutue aiguille chantant sa dernière note. Orion la fixe, longuement, d'un œil presque absent. Brillante avec insolence au fond de son écrin de métal. Il les sent alors à nouveau, ces doigts faits de glace et d'acier. Ils remontent son dos à contre courant, raclent précisément le long de sa colonne et entraînent avec eux à la manière d'un sortilège, une nausée violente tapissant l'intérieur de son être d'une rage sourde matinée d'une terreur indécente.
Paperthin n'a jamais peur.
Les légendes se forment sur des faits, des actions. Sur des conneries, bien souvent. Des idéaux que l'on sert pour offrir des étoiles plein les yeux aux badauds frôlant la normalité. Aux petits mômes qui rêvent, nuit et jour, d'un jour être comme ces légendaires intouchables.

« - What can I say, my charms are always at their highest. » L'esquisse d'un sourire cynique aux lèvres, il relève les yeux pour croiser ceux de l'infirmier. Ressent la proximité qu'il n'avait pas analyser comme si proche, obnubilé par cette seringue de malheur. C'est une autre sorte de frisson qui s'invite sur sa peau cette fois. Fait se crisper presque délicatement les muscles épuisés de ses cuisses dénudées.
Huit ans à le faire mais il ne s'y habituera jamais, se mettre à poil devant des blouses blanches. Il a pourtant été mis à nu, Paperthin, jusqu'à offrir des morceaux de son âme en pâture à la Grande et son audience.

« - Worst case scenario, I die, it's not such a big deal anyway. » Ses lèvres se pincent sur un haussement d'épaules, Orion battant des cils pour se défaire de ce regard et ce foutu sourire qu'il ne pensait jamais revoir sous les lumières aussi cru d'une salle d'examen d'hôpital.
Le bandage de fortune enroulé autour de sa cuisse se soulève sous l'impulsion de l'infirmier. Tire dans le geste le sang coagulé et la chair déchirée. Inconsciemment, Orion a baissé l'intensité de son mod, jusqu'à le couper totalement alors qu'il lève une main pour venir saisir l'avant-bras de Sujin d'une poigne ferme mais étonnement douce.

« - I don't trust any single one of them in this shit hole. » Le regard qu'il lance en direction du rideau est de la froideur d'une lame. Pourrait assassiner quiconque oserait seulement froisser le tissu avec l'idée suicidaire de l'ouvrir pour pénétrer leur périmètre.
Le cuir du gant émet un crissement chuintant, Paperthin resserrant son étreinte.
« - But you, I do trust you...  Please, don't give a reason to put in the same box as them. » La menace de mort se détache, s'adoucit en remontant jusqu'à croiser à nouveau le regard du médecin que les doigts relâchent alors qu'Orion se laisse à nouveau glisser contre le dossier de la table, ouvrant sa cuisse telle une offrande tout en essayant, sans succès, d'en détendre les muscles.

« - You were afraid of my hands with the gloves off not even few minutes ago and now you're offering to making me high  ? » Un léger rire s'échappe, grave et chaud. Les paupières se ferment une seconde, le tressaillement de ses cils trahissant l'activité folle qui continue d'avoir lieu dans sa tête.
« - Risks increase when my brain is unclear. Or when I'm... Medicated. » Drogué à l'excès. Il soupire et lève les yeux vers le plafond. « - I'll take my chances but thanks for the offer. » Chemin de croix d'un assassin payant encore et éternellement pour ce qu'il a été obligé de faire.
Un autre soupir, plus long. Semblant plus las aussi. La proximité de Sujin a toujours été un océan de calme. Des vagues lentes de compréhension muette.
Une mer de tranquillité au fond rassurant.

« - I turned it off. »

« - Worst case scenario, I die, it's not such a big deal anyway. » et si d'ordinaire, le cynisme exprimé par certains patient n'avait que trop peu d'impact sur lui, cette fois-ci c'est une dégringolade d'émotions qui se dépeignent sur son faciès ; de l'étonnement à la confusion, de l'hébétude à la peine — not when we've just met again. affliction qu'il chasse de plusieurs mouvements de cil, retrouvant une expression plus neutre, bien qu'encore marquée légèrement. — We'll avoid that scenario.

il n'avait pas choisi ce métier pour voir des gens mourir. alors, inévitablement, cela arrivait. et sujin avait appris à gérer les émotions liées au deuil et à s'en distancer, suffisamment pour que cela reste vivable. des malheurs, il y en a toujours — fatalisme. cela dit, son implication était bien différente lorsqu'il s'agissait d'un être cher comme Orion l'était dans ses souvenirs. l'idée de la perte générait une douleur fossoyeuse l'éviscérant sans pitié. ce n'était donc pas une option, que ce dernier meurt. encore moins sous sa responsabilité.

la poigne ferme autour de son avant-bras l'arrête net dans ses mouvements ; il écoute, Sujin et observe, les dizaines de fractures qui s'entassent dans son regard, comme un miroir brisé qui peine à garder ses morceaux en place. évidemment, il ne prend pas l'avertissement à la légère. si Orion agit ainsi, c'est qu'il a des raisons de le faire, cela n'est pas à discuter. alors, il attend patiemment qu'il le laisse à nouveau libre de ses mouvements et lui assure d'un hochement de tête qu'il ne le laissera pas tomber. — I just want to heal your wound and to make sure you're okay. I won't do anything without telling you. s'assurer de la compréhension et du consentement, deux choses qui demandaient qu'on prenne le temps, de discuter, d'expliquer, d'apaiser ; deux choses qu'on zappait par manque de temps et à cause d'une pression hiérarchique contre laquelle il fallait constamment lutter.

alors que son attention est toute dirigée sur la plaie, plus profonde qu'il ne l'aurait pensé, le rire grave et chaud vient percuter ses émotions de plein fouet. tremblements, aux échos du passé ravivés par ce simple son qui carillonne avec plaisir contre ses tympans inhabitués. le sourire s'installe à nouveau sur ses lèvres, et un grain de malice perce dans son regard. toutefois, ce dernier est rapidement effacé par une prise de conscience plus douloureuse, pénible. — You've got your gloves on, and a little anaesthetic won't hurt. If you choose to trust me, so can I. insiste-t-il, avant de se pencher un peu plus vers lui, cherchant son regard. — Do not suffer unnecessarily. accorde toi un peu de répit ; car c'était ce qu'il pouvait lui offrir. un peu de confort, un peu de répit. au fond, sujin espérait qu'Orion saisisse l'opportunité. il n'avait pas envie d'avoir la sensation de le malmener ; en quelque part, il avait la sensation que ce dernier ne méritait pas de s'infliger tout cela, et qu'un peu de douceur agirait comme un baume sur son cœur éprouvé.

Sur une expiration alourdie d'un soulagement venant serrer son cœur, Orion lâche prise. Quelqu'un l'avait prévenu, un jour, que la paranoïa finirait tôt ou tard, par se glisser au creux de son esprit. Qu'il finirait par ne plus distinguer les cœurs sincères de ceux gangrenés.
Des éternités existent en huit années loin du monde. Le sien à l'arrêt et celui des autres continuant de courir contre la montre. Dépassé, c'est sûrement la meilleure définition de sa prétendue paranoïa. Celle qu'il chasse d'une nouvelle expiration en acceptant l'aide, de se laisser aller, au moins un peu. Offre son corps aux doigts d'une médecine presque devenue phobie au fil des années.

Sujin se rapproche à nouveau. Laisse filer le vent discret de sa présence contre sa peau en myriades de frissons que rien ne semble pouvoir contrôler. La nuque de Paperthin se moule à l'arrondi du dossier, son regard revenant s'accrocher à celui de l'infirmier. L'insistance est sincère, comme tout ce qu'il a pu dire ou faire depuis que le héro est arrivé ici.
Ses paupières se ferment sur un soupir las et épuisé.

« - You should not, trust me. I can't even trust myself entirely, how could you ? » Un rictus amer s'échoue sur ses lèvres, ses cils battant la mesure d'un rire muet. « - You're the one who knows the job, give it then. It's been a while since I've had a recreational high... » Et au fond de son labyrinthe sans minotaure, Orion se dit que cette dernière fois remonte à avant le drame. Dans la chambre d'un môtel devenue le refuge et le sanctuaire de beaux souvenirs auxquels il s'accroche avec toute l'énergie qu'il peut lui rester.
Orion comprend la démarche de Sujin lorsque ce dernier va chercher son petit bonus. Il comprend l'intention d'offrir un peu de répit au milieu d'une tempête dont on ne peut plus se défaire. Il comprend mais c'est quelque chose dont il n'a jamais eu le luxe, le répit. La tranquillité. Sa vie est dirigée par des entités qui le dépasse, ce foutu collier serré autour de sa gorge et qu'il ne pourra retirer que le jour où il arrêtera simplement de respirer.
Paperthin est une création de papier mâchée, façonnée par les mains malhabiles d'enfants capricieux.

L'oxygène s'infiltre au fond des poumons sur longue et lente inspiration. Ouvre la poitrine sur une sensation vertigineuse le coupant doucement de tout le bruit extérieur au rideau posé en porte infranchissable de cette bulle que Sujin s'est échiné à bâtir depuis son entrée en scène.

« - Thank you, hyung. » C'est un murmure qui veut dire tellement de chose. Porteur de tout le poids posé sur un cœur fatigué d'être rapiécé à l'arrachée. Un sentiment, diffus, confus que n'importe qui analyserait comme une reconnaissance presque infinie où se nouent des fils d'une tendresse passée et présente.

« - How bad is it ? I'm needed for the herolympics... Could I walk? » Ce ne sont que des questions faites de vent, peu importe la gravité de ce lambeau de chair zébrant sa cuisse, Paperthin a reçu des ordres. Il les honorera.

Il l'a toujours fait.

trust ; un concept étrange aux contours flous, à la densité nébuleuse. grâce à son don, sujin avait toujours plus ou moins su lorsqu'on était sur le point de trahir cette confiance, qu'il donnait généreusement et sans trop de réticences. le temps, l'expérience surtout, lui avait appris à se méfier davantage et à réserver cet espoir à un cercle restreint — les trahisons n'en étaient que plus douloureuses, mais moins fréquentes. la confiance, c'était un pari, un mince espoir qu'on plaçait en l'autre, comme une semence qui pouvait nourrir conjointement — ou détruire, évidemment.  

qu'il soit digne de confiance n'avait pas toujours eu une connotation flatteuse ; certains usant de ce terme pour désigner les personnes naïves dont on pouvait allégrement tirer profit en se foutant de leur états d'âmes. ce n'était pas le cas aujourd'hui. Paperthin, Orion pour lui, choisissait d'abaisser sa garde avec une réelle sincérité ; et il outrepassait sa peur (qui grouillait encore à l'intérieur) pour le laisser agir. il ne s'agissait pas là de promesses saugrenues qu'on oublierait bien vite en reprenant le cours de sa vie. c'était un acte, posé délibérément, une preuve irréfutable qu'en dépit des années, de tout ce qui avait pu se passer, rien n'avait réellement changé et que cette foi, en l'un et en l'autre, était inébranlable.

une drôle de chaleur s'immisce en son coeur, lorsqu'il apporte l'oxygène à son ami — un réel soulagement s'opère. le sentiment d'être utile, de pouvoir prendre soin de lui, comme si la partie était gagnée. deux respirations et le corps s'affaisse, les muscles se détendent. la déconnexion s'effectue enfin. sans précipitation, sujin s'active et commence par nettoyer la plaie qu'il devra recoudre. — You're pretty lucky this time. But it'll be several weeks before you're fully recovered. You'll be able to walk, but you'll have to avoid heavy exertion as much as possible. affairé, les traits sérieux, il profite de l'accalmie pour demander. — What are you going to do at the HerOlympics? Are you competing ? II didn't see you on the list of participants. la plaie nettoyée, il dépose le nécessaire dans un récipient et prépare de quoi faire des points de suture. — I'll be working on it, as a volunteer. et peut-être, qu'ils s'y reverraient. ou peut-être que, cette fois-ci, Sujin n'avait pas l'intention de laisser le destin décider pour lui.