Nowadays it just feels so fake so I'll cut the grass to expose the snakes. || Orion

24/08 ; 23:47 ; ootd

Rouge et noir glissaient entre ses doigts. L’habituée faisait virevolter les morceaux de carton comme des lames et les symboles comme un nid de serpents. Tant de victoires pour si peu d’échecs à cette table, une fois par moi, avaient égayé des soirées qui n’en finissaient plus de solitude. Même les herolympics où elle s’était rendue en compagnie de la belle Ayaka n’égayaient pas la guerre froide qu’elle menait au quotidien contre son incapable de mari. Il ne lui restait que le poker et les calculs froids des conversations en langue de bois dont elle devinait la fin à peine commencées.

Les cartes étaient devenues des fondations, les fondations étaient devenues un château. Les verres de millésime enchainés sans compter lustraient la sculpture d’une réalité superposée. Il manquait des bateaux, songea-t-elle. Une flotte de navires pirates ; oui !
Alors elle commença à en plier dans les cartes. A former un carré et à déchirer ce qui dépassait. Il y eut bientôt une armée, devant le château défoncé. Et puis des oiseaux de malheur, prêts à transporter le message, le mauvais présage.

Puis, soudain, Rina déplia une carte plus fine.
Et elle se répandit en sang entre ses phalanges.

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« - Vous m'aviez l'air d'être bientôt à cours de matière première. » Paperthin s'octroie le droit de s'installer de l'autre côté de la table de jeu, son verre où somnole une mer ambrée scintillant sous la lumière.
« - Il est assez compliqué de déplier ce qui a été plié. Les traces sont trop ancrées pour disparaître sans rien abîmer. » De sa paume ouverte déposée sur la table, un nouvel oiseau de malheur prend vie au creux d'un tourbillon délicat de sang. D'un mouvement de doigt aussi doux que lent, la grue se soulève pour venir se déposer devant les portes du château papier, monstre mystique avide de conquérir les contrées royales nichées derrière les remparts de cartes.

« - Navré, il faut un certain temps pour que le papier se stabilise et garde sa forme finale. » Pour que les bouts de lui mis dans chacun de ces maudites constructions de papier ne s'évaporent. Entre son index et son majeur, gantés, Orion offre à l'avocate un mouchoir pour effacer les stigmates de sa présence sur ses phalanges.

« - La justice se résout mieux au fond d'un verre ? » Le sien vient se lover entre ses doigts tandis qu'il se laisse aller contre le dossier de son siège, l'énigme d'un sourire sur ses lèvres et le noir animé d'un feu aux airs d'enfer dansant sur l'écran de son regard.

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Pupilles dilatées de surprise face au rouge répandu sur ses doigts, se confondant avec son vernis, Rina eut soudain l’air d’une adolescente découvrant les premières déconvenues de la vie d’une femme. Puis son regard se leva en direction de son impromptu compagnon de discussion. Yeux découverts et langue bien pendue, il lui ouvrait une arène d’entraînement matérialisée par cette table, que Rina ne pouvait pas laisser passer.
Fascinée, elle regarda la grue voler par dessus les fondations du château et se poser devant leur porte illusoire son esprit alcoolisé décida qu’il s’agissait d’un dragon, et le sang versé avant même la bataille fut bientôt effacé par le mouchoir du gentleman.

« On ne fait jamais ivre ce que l’on est incapable de faire sobre. Je dirais, à bien des égards, selon les circonstances, que cela peut effectivement ouvrir l’esprit. Et vous affirmer que j’ai gagné tous les dossiers de ma carrière sans un peu d’aide serait vous mentir. »

Accoudée à la table, Rina fit descendre son regard le long des murailles du château pour rencontrer celui du maître dragon. Les calculs timides s’échelonnaient au fond de ses pupilles et la machine se mit en branle.

« Vous me dites quelque chose. »

Elle lui fit la démonstration d’une ouverture d’esprit, avalant une gorgée de son verre.

« Je remets. Février 2015. Meurtre sur une héroïne de classe-s. Chute léthale et mise à l’ombre. Des semaines de procès ; ah, on vous aura défendu bec et ongles mais Athena vous en voulait, mon grand. Elle vous en voulait beaucoup. »

Elle sourit ; d’un sourire à la teinte exacte de son vernis.

« Vous avez gardé un peu des flammes de l’enfer au fond de vos yeux. »

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« - L'enfer est en chacun de nous. » Le sourire se rend, avec ce respect dont seuls les serpents usent lorsqu'ils se retrouvent entre eux. Orion laisse filer un silence, son verre roulant entre ses doigts pour y créer des vagues d'ambre. De celles allant se réfugier à l'horizon pour mieux revenir lécher la place et l'engloutir.

« - Beau raisonnement mais vous faites erreur. » Souffle-t-il calmement tout en portant le verre à ses lèvres pour l'alléger d'une longue gorgée traçant sa route de feu le long de sa trachée. Eveille les sens et la lave fusion nichée aux creux des veines.

« - Une mission qui a mal tournée, un drame pour toute une nation. J'ai perdu ma partenaire ce jour là, et un peu de ma sanité. Eloignement médiatique et du temps pour faire mon deuil. » La version officiellement offerte à la populace. Nul doute qu'une avocate avec une telle renommée soit au courant du drame joué dans l'ombre, de ce procès risible et ridicule tirant plus sur la mascarade que sur la véritable procédure : la sentence avait déjà été décidé.
Orion l'avait accepté alors qu'Eos était encore entre ses bras. Que le choc de son geste l'empêchait de seulement la lâcher.

« - Jeon Orion. » Main sans gant se tend par-dessus la table .
« - Je ne vous propose pas de vous offrir un verre, vous avez l'air d'avoir ce qu'il vous faut déjà. » Les sourcils se lèvent, désigne le millésime du regard, à se demander combien il y en a eu avant celui-ci. Sûrement trop.
Certainement pas assez pour supporter un quotidien qu'il imagine bien gris. Quand le sien se barbouille en noir.
Et rouge.

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Un sourire rouge sang fendit le menton de l’avocate.

« 8 ans, c’est la durée moyenne d’un deuil, je conçois. » avoua-t-elle. « C’est sans doute pour cela que c’est ce chiffre qui est systématiquement choisi pour cette peine. »

Elle n’insista pas. Le procès avait déjà eu lieu, avec tout ce qu’il impliquait. Elle faisait partie de l’équipe qui défendait Athena cette année-là. Un cas difficile ; c’était toujours délicat de savoir qui défendre, quand un héros tuait une héroïne. On avait crié au féminicide, au viol conjugal, à la lutte pour un héritage qui n’existait pas. Tout avait été bon pour faire tomber une partie comme l’autre. Ce Mr Yang s’était battu bec et ongles pour sauver les deux, mais c’était bien sûr Athena La Grande qui avait perdu le plus ; l’une de ses meilleures héroïnes, l’un de ces meilleurs héros dont elle allait devoir se passer pour calmer la foule...et de l’argent.
Beaucoup, beaucoup d’argent.

« Bae Rina. » répondit-elle d’une poignée de main froide et dynamique. « Avocate pour Athena. » éclaircit-elle pour expliciter la connaissance qu’elle avait de son cas.

Elle porta son verre et le descendit.

« J’avais. » objecta-t-elle. « Donc j’accepte. »

Ses doigts caressèrent le château de papier, afin de ne pas avoir à se dresser pour regarder l’homme en face d’elle par dessus les fondations. Les cartes s’écroulèrent délicatement, par dessus la grue. Elle dégagea cette dernière sur le côté, puis rassembla les lames entre ses doigts.

« Et que fait le grand Jeon Orion, maintenant qu’il a fait son deuil ? »

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Elle a la froideur d'un serpent pense-t-il alors qu'un frisson dérive de l'épicentre de sa paume le long de son bras. L’hypersensibilité du derme a creusé au-delà de la sensation première, de ce dynamisme qui n'est pas réellement surprenant mais qui force néanmoins à un respect que révèle le mouvement de menton qu'Orion offre à la révélation de son métier.
Reprenant sa main, il fait signe à un serveur louvoyant dans les ombres. Ce signe universel que tous comprennent, du moins tous ceux qui viennent se perdre dans ce genre d'endroit. Partage de maux sur les même bateaux se balançant sur des mers d'éther. Tous avec la même promesse en point d'horizon : l'ivresse et l'abandon.

« - Il récupère tant bien que mal les morceaux éparpillés de sa vie et de sa liberté. Qui n'en est pas une. » Pinçant les lèvres, le mercenaire fait rouler les flots d'ambre au fond de son verre, le regard suivant le mouvement des lames de papier entre les doigts de la Justice.
« - Notre employeur commun m'a reclassé dans ses petits papiers. Il faut toujours des mains armées pour lui éviter de salir les siennes. » L'esquisse de ce qui ressemble à un rire amer se noie alors qu'il porte le verre à ses lèvres, le déleste d'une nouvelle gorgée. Pas réellement de celles que l'on retire pour en savourer tous les arômes mais plutôt celles qui se posent comme garde-fou, appellent à la mesure. Orion en buveur mesuré a toujours bien supporté l'ivresse. Au fond ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne succombe à ce sombre travers.

Le verre de Rina semble se matérialiser devant elle, remplace le vide emporté au cœur des ombres.
« - Il est bien tard pour se perdre dans ce genre d'endroit. Insomnie ou quelque chose vous préoccupe ? »

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« Athena se salit les mains plus souvent que vous ne le pensez. » assura Rina. « Mais je respecte votre opinion, qui est tout à fait naturelle après une incarcération aussi longue. Après tout...vous avez choisi de continuer à oeuvrer pour le système alors que vous aviez toutes les raisons de lui tourner le dos. »

Elle ne quittait pas son sourire, avenante quoique authentique dans son discours. Les volutes de son pouvoir dansaient dans les ténèbres, s’enroulaient paresseusement autour de la table, déposaient des effluves musquées contre les épaules d’Orion dont ils drapaient leurs voiles satinés. Ses doigts se saisirent du verre qu’elle tendit dans sa direction, et elle en avala une gorgée parcimonieuse, savoureuse. Le battement des lames reprit, dynamique et aisé, presque flou et magique.

« Ni l’un, ni l’autre. » répondit-elle en coupant son paquet. « Je jouais ce soir avec des amis. Nous nous retrouvons souvent pour battre le rouge et le noir et se donner des nouvelles, évoquer le bon vieux temps, siroter les nouvelles arrivées du bar. Ils sont partis retrouver mari, femmes et enfants, et je fais partie de ceux qu’à cet âge plus personne n’attend. »

Elle rassembla les cartes entre ses doigts, les déposa en un paquet net devant elle.

« Vous savez jouer ? » demanda-t-elle.

Une cigarette se matérialisa entre ses doigts, et elle la déposa au coin de ses lèvres.