clair-obscur (sujin)

les iris fixes sur l’écran, semble chercher des excuses que son esprit peine à trouver, pourtant, yeon est doué d’habitude. les mots ne lui manquent jamais, les prétextes sont nombreux sur ses lèvres et il ne cesse de défier toute main qui se tend vers lui pour une aide dont il a si amèrement besoin. cette fois-ci, il est incapable de faire machine arrière. peut-être parce que sujin semble sincèrement se préoccuper de lui, peut-être parce qu’il voulait continuer d’avoir quelques occasions de revoir sooah et jouer avec elle,
peut-être parce qu’il avait envie de croire qu’il méritait cette aide aussi, même si d’autres étaient surement au premier rang, bien avant lui.

des doutes pleins la tête et des questions sans réponses, le guident néanmoins jusqu’au grand immeuble qu’il avait tant de fois fuit ou évité. ses phalanges meurtries se posent un instant sur le volant et ses lèvres tentent d’extirper un souffle moins lourd. le trajet avait été plus compliqué qu’il ne l’avait pensé, le dos brûlant à chaque fois qu’il effleurait le siège de la voiture et la paume tremblante contre la boite à vitesse.
plusieurs fois, il avait tenté d’échapper à sujin, les sms hésitants; il n’aurait surement pas dû envoyer le tout premier.

yeon finit par quitter le véhicule, et ce simple mouvement lui fait deviner les plaies béantes sous sa chemise noire. l’expression sur son visage se transforme en une grimace-éclair, qui disparait dès qu’il prend le chemin vers epione, une casquette visée sur la tête. il n’offre aucun regard à ses alentours ni ne tente de se repérer, mais les couloirs lui semblent un peu moins bondés qu’à l’habitude, surement à cause de l’heure tardive et le cœur en est légèrement soulagé. peut-être qu’il ne dérangeait vraiment pas sujin. le dernier message est envoyé, patient jusqu’à l’arrivé de l’infirmier, puisqu’il ne désire pas interagir avec le moindre staff du centre.

d’autres minutes s’écoulent avant qu’il ne sente la présence de sujin et baisse doucement les yeux vers lui. « hey. » simple murmure, presque tout timide. « i’m really sorry about this.  » et malgré les mots évasifs, tout semble clair. il s’excuse pour ces messages tardifs, pour son agitation, pour son existence.

dans le creux d'une sorgue brumeuse troublée par l'éclairage douteux — car les néons grésillant de l'hôpital ne tolèrent pas bien le crachat des cieux et rendent le tout un peu glauque, il vacille. café glacé en main, il déambule au loin, cherche la fraîcheur là où elle semble inexistante. tout est poisseux, tout est pesant — trop pesant ; il s'alourdit. le corps qui flanche, trébuche sur la marée montante des émotions qui surgissent à chaque fois que résonnent les sirènes de l'apocalypse. rythme saccade en vas et viens fragmentés, qui s'essouffle, s'essouffle alors que les aiguilles, elles, ne cessent jamais d'avancer. c'est permanent, ce besoin de souffler dès qu'un répit s'offre à lui, avant que les cohortes maudites ne reviennent le chercher, sordides — impies. pourtant, il aime son métier, Sujin, ne se voit pas en exercer un autre — lequel ? c'est les relations, l'autre, qui l'intéressent ; les échanges et tout ce qu'on peut y trouver, tout ce qui peut venir nourrir notre âme bien trop seule. alors, même si c'est pesant, même s'il se sent exténué, même s'il est à bout de souffle ; il réussira toujours à se rassembler pour porter son aide à ceux qui en ont besoin. parce qu'il est ainsi — altruiste.

lorsque le téléphone vibre, un soupçon d'inquiétude s'éveille et sa première pensée est pour Soo Ah (c'est toujours ainsi, sa fille est au coeur de toutes ses préoccupations, c'est une veille constante, une tension avec laquelle il compose et qu'il apprend à contrôler) ; mais en voyant le nom affiché sur l'écran, l'étonnement prend toute la place bien vite. Yeon ; rencontré au parc quelques jours auparavant (avec Soo Ah, justement). son oeil averti n'avait pas pu s'empêcher de remarquer les engelures féroces jalonnant sa peau, par ci, par là ; stigmates infligées ou subies, qu'importe, il avait automatiquement proposé son aide — parce qu'il se sentait redevable, d'une ; mais aussi, parce qu'il n'avait pas pour habitude de fermer les yeux et d'ignorer, Sujin. ce n'était pas inscrit dans sa nature, de détourner le regard. il se confrontait durement à la réalité avec toute la naïveté d'un oisillon, prêt à s'y couper les ailes et à y finir broyé — sacrifié sur l'autel de la déshumanité. alors, il insiste, jusqu'à ce que Yeon cède.

certains maux se ressentent plus lourdement que d'autres. l'auto-persécution, l'auto-flagellation et tout ce qui se rapproche de la culpabilité, sont des émotions pénibles, harassantes — persécutrices. elles tirent constamment vers le bas, dans un syndrome affolant d'abaissement de soi et il est si dur de lutter contre celles-ci. il le sait mieux que n'importe qui, Sujin ; et lorsqu'il s'approche de Yeon, c'est avec sa meilleure arme qu'il combat : son sourire. plus radicale qu'aucune autre, elle chasse les nuages avec une facilité déconcertante. — hi ! it's okay, you did well. i'm glad you called. come with me, please. à l'écart, comme il le lui a promis. pour ne pas l'embarrasser et doucement, l'apprivoiser. il l'entraîne dans un long couloir au bout duquel se trouve le bureau d'auscultation. ouvrant simplement la porte, il le laisse entrer en premier avant de le suivre et de refermer soigneusement la porte. — we won't be disturb, don't worry. show me, i'll see what i can do.

aucune main ne s’était jamais offerte à lui dans le seul dessein de l’aider. les âmes autour de lui si rarement altruiste. et c’est un sentiment effrayant auquel yeon ne désire pas s’habituer. il n’avait toujours compté que sur lui-même ; sa vie, tout ce qu’il avait aujourd’hui, n’avait été le fruit que de ses propres efforts, jusqu’à sa souffrance qui, souvent, n’était le résultat que de ses propres actions. il redoutait s’appuyer sur autrui, se laisser aller jusqu’à le regretter. pourtant il était là ce soir, entre les couloirs peu familiers du centre. grand gamin qui dépasse d’au moins une tête tous ceux qui s’activent autour de lui, avec l’impression d’être le plus perdu d’entre tous. sa tête est baissée, tout son corps effleurant un dans un recoin sans jamais réellement s’y appuyer, comme s’il voulait se faire le plus invisible possible.

le message est envoyé mais ses pensées ne disparaissent pas, elles demeurent fixées sur la crainte de n’être qu’un fardeau dans plus dans le shift de sujin, mais il est trop tard pour tourner le dos et fuir les lieux. yeon s’en sentirait encore plus coupable alors, pour le moment, il tente seulement d’apaiser cette culpabilité qui le meurtrissait de l’intérieur. il ne sait pas à quoi il s’attendait en voyant sujin ce soir – les sourires n’étaient pas l’expression qui l’accueillait la plus part du temps, pourtant celui que lui offre l’infirmier semble faire irradier une chaleur étrangère dans son cœur. le sien est plus timide en réponse, un peu maladroit, un peu cassé, et un hochement de tête semble accepter les mots de sujin, you did well, c’est une mélodie rassurante qui se joue en boucle même s’il est le seul à l’entendre. il ne pose pas de question et suit docilement l’aîné entre les couloirs sans tenter de s’y repérer ou reconnaitre le chemin. le trajet n’est malheureusement pas assez long et ils se retrouvent trop tôt dans le bureau d’auscultation, où il ne pouvait plus rien dissimuler. « okay, okay. » un soupir hésitant, son courage est en raz-de-marée, il va et vient, et yeon est incapable de le saisir au bon moment tandis que ses longs doigts blessés restent figés sur le premier bouton de sa chemise. « i didn’t look at my injuries before coming here but i’m pretty sure that they look worse than they really are. it’s just that – my skin tends to bruise easily. » essayait-il de rassurer sujin, ou lui-même ? yeon est incertain de la réponse, mais il finit par déboutonner la chemise noire avant de la laisser délicatement tomber le long de ses épaules et ses bras, les gestes minutieux quand chaque effleurement du tissu contre sa peau résonnait comme un avant-goût de l’enfer. « you can look. » qu’il souffle finalement en tournant le dos à sujin, où il devinait le plus grand nombre de plaies, même si le reste du haut de son corps n’avait rien à lui envier.

il pourrait dire (avec toute l'irritation que cela générerait automatiquement) qu'il en a vu d'autres ; dans un souci de normalité, ou pour réduire la charge mentale liée à l'événement en soi — mais cela réduirait la plaie à une cicatrice commune, pour ne pas dire banale et donc, dépourvue d'intérêt. et puis, ce serait mentir, surtout. car aucun cas ne ressemble réellement à un autre, si on regarde en profondeur la plaie ; et bien qu'il ait vu des tas d'horreurs entre ces murs, jamais Sujin n'aura la prétention de traiter l'un de ses patients avec facilité ou désintérêt. plus que de l'éthique, c'était aussi sa propre fierté (et donc, indirectement son égo) qui le forçait à agir ainsi, en prenant en compte la singularité de tout un chacun. alors, dans l'attente de la révélation de ses blessures, il garde un silence plein de respect et laisse, à son rythme, Yeon se dévoiler.

— i'll have a look and do what i can. tente-t-il de le rassurer, lorsqu'il le voit hésiter à déboutonner sa chemise — il sait, ressent le trouble, la gêne et la crainte. ce sont des émotions qu'il ne peut éviter et qu'il agrippe tout en s'armant d'une patience légendaire ; il ne brusquait jamais, Sujin. le tissu se froisse, avant de glisser contre sa peau légèrement halée, dévoilant un corps musclé aux multiples stigmates du passé — cicatrices fines, et plus épaisses, sillonnent le corps bâti, tendres boursouflures rougies qui laissent entrevoir une vie difficile, un passé encore douloureux.

ce n'est que lorsqu'il lui tourne le dos que Sujin peut enfin entrevoir l'ampleur des dégâts — engelures violacées le long de son dos, ayant brûlé la peau en profondeur. — that must hurt a lot... did you take something for the pain ? your skin is burnt in several places. i'll heal your wounds with oily bandages in order to soothe it. il le contourne légèrement, effleure son bras et l'invite à s'assoir. — here, sit. it might take a moment. avec un sourire rassurant, il prépare les bandages. — Soo Ah was talking about you today. She said she misses her taaalll friend and his cat. et pour détourner son attention, il continue de parler tout en s'affairant, habitué à agir ainsi quand il sentait ses patients réticents ou mal à l'aise. — How is he, by the way ?