At the dawn of memories | feat Sujin

6.30 p.m. La notification tombe, vibre contre le poignet, alors que l’écran de la montre s’éclaire : “Starbucks meeting - M. Ice americano”. Le regard glisse quelques instants dessus avant de retourner sur celui plus grand de son ordinateur. Pianotement régulier des doigts sur les touches, à finir de compléter le dossier d’une de ses enquêtes classées. Il n’aime pas, Jae In, s’arrêter en pleine tâche, au risque d’en être frustré et peu concentré sur la suite. Chose dont il ne peut pas - ne veut pas - se permettre ce soir au rendez-vous plus important qu’il n’y paraît sur le papier. Alors il se presse de terminer, enregistre son dossier et met fin à cette journée de travail pour en commencer un autre bien plus personnel.

Il avait hésité plusieurs jours avant d’envoyer ce premier sms. Numéro trouvé dans cette boîte de pandore qu’il avait fini par ouvrir, quitte à en être marqué plus encore qu’il ne l’était déjà. Aux années passées, les souvenirs en sont revenus intacts, jusqu’à son sourire toujours présent sur cette photo au coin de son bureau. Doux(loureux). Sept longues années déjà qu’il ne l’a plus vu s’animer devant lui. Juste figé sur ce bout de papier glacé. Preuve que les images qu’il voit de lui aujourd’hui ne sont pas celles de celui qu’il était mais pourtant à vouloir s’ancrer dans son esprit fatigué de trop en voir.

La douce caresse du soleil l’accueille à la sortie du bâtiment, à lui en faire fermer les yeux quelques instants pour profiter de ces lueurs. Train de vie à cent à l’heure bien trop souvent étreinte par les ombres. Mais à nouveau l’heure le rappelle à sa mission du soir et le voilà déjà qui s’engouffre dans l’habitacle de sa voiture pour rejoindre le nord-ouest de la ville, à se préparer à aborder un sujet qu’il tait bien souvent. Son frère.

Les rues sont animées en ce mois d’août, sous les festivités des Hérolympics et les places aux terrasses des cafés déjà bien remplies. Il ne doit sa chance qu’au départ d’un couple au moment même où il récupère sa commande. 7.0 p.m. Ice americano posé sur la table la plus reculée de la terrasse du Starbuck, il attend tout en scrutant l’écran de son téléphone où défile la page instagram de celui dont il ne connaît rien d’autre que le nom et les quelques mots griffonnés autour par son frère : Je lui fais confiance.

les messages reçus la veille l'avaient bouleversé, bien plus qu'il ne l'aurait souhaité. mémoire, comme une vieille amie brutale, l'avait extirpé sans ménagement d'une torpeur paralysante causée par un quotidien jonché de responsabilités, d'obligations et de courses effrénées à n'en plus finir. le temps, lui-même, jouait avec ses émotions, ne lui accordant qu'un temps relativement restreint pour faire le point sur ce qu'il ressentait — ou pas.

stress. inquiétudes. des tourments de questions, vaines et sans réponses. tout cela avait causé une rude insomnie résultant en un coma prolongé sur le canapé de ses parents en  fin d'après-midi. nul doute, il est en retard.

et alors qu'il slalome entre les passants, essayant de rattraper les minutes qui inlassablement s'égrènent ; en échos aux battements violents de son coeur éprouvé, martèlent dans son crâne le prénom du regretté défunt — Jihan. Jihan. Jihan. s'amuserait-il de le voir ainsi décoiffé, en survêtement enfilé à l'arrache, un air à la fois embêté et hébété sur son faciès, tiraillé par la course contre la montre ; ou serait-il ennuyé, de le voir si pitoyable ? qu'importe, il ferait en sorte de lui masquer ses émotions et il ne saurait comment interpréter son regard.

les souvenirs se superposent au présent, il a l'impression d'avoir déjà joué cette scène — pourtant, elle est bien nouvelle. Jihan n'est plus là, c'est son frère qu'il rejoint à présent. sept années se sont écoulées. sept longues années. et s'il a l'impression parfois d'être toujours le même, ce n'est plus vraiment le cas. la fatigue a creusé des cernes sur son visage poupon. l'inquiétude et les responsabilités, aussi. il s'autorise une petite minute pour reprendre son souffle et ne pas débarquer dans tous ses états au café — quelle impression il ferait ! cela compte si peu, d'habitude. cela compte tant, aujourd'hui. Jihan a toujours été important.

d'un geste du poignet, il essuie son front avant de jeter un coup d'œil à sa montre. dix minutes seulement : il s'excusera et proposera de payer l'addition — cela devrait suffire pour qu'il lui accorde son pardon. chasse la nervosité en soufflant un coup bref, avant de pousser la porte du café et de chercher du regard, parmi les clients, celui dont le souvenir s'est étiolé au fil du temps.

de deux ans son cadet, Jae In l'avait toujours assommé d'une torpeur sombre et harassante, profondément triste ; et c'est ce souvenir qui refait automatiquement surface, guidant son regard jusqu'à la table la plus reculée de l'endroit bondé. l'émotion est violente, elle l'attire comme l'oeil du cyclone le ferait, lui promettant un calme impérial en son sein, si bien qu'il ne peut y résister. les pas se font assurés, et bien vite il hoche la tête en s'excusant — Sorry to keep you waiting, i have no excuses. I'll pay the bill, if you don't mind, to make it up to you. nerveux, il s'assoit face à son interlocuteur qu'il dévisage de ses grands yeux inquiets ; ne sachant pas encore quoi en penser — Jihan, your brother is impressive. You'ld be proud of him.

Elles scintillent, les douces lueurs du soleil qui viennent caresser son visage à la sortie du bureau. Il est rare qu'une journée de travail se termine aussi tôt - peut être même n'ont elles jamais réellement de fin - et il ne peut s'empêcher de fermer les paupières quelques secondes pour profiter de cet instant offert. Il le sent déjà, ce cœur qui commence à s'agiter à l'appréhension du moment à venir. Rencontre qu'il avait lui-même initiée après des jours de réflexions, à regarder ce numéro inscrit sur le carnet retrouvé. Sujin. Le nom ne lui était pas inconnu, ni même le visage qu'il avait pu retrouver sur le réseau social. Il l'avait déjà croisé auprès de son frère sans réellement s'intéresser à la relation qu'ils entretenaient. Époque où rien n'avait d’intérêt à ses yeux, à juste suivre les espérances de la seule personne en qui il croyait.

Installé au plus loin de l’animation exaltante de la rue, à en avoir une vue d’ensemble par la même occasion, Jae In fait défiler les images devant ses yeux jusqu'à ce que ses prunelles ne glissent sur le modèle vivant qui vient à se présenter. Débraillé, décoiffé, à se demander lequel des deux est le plus âgé. Pour autant, il ne put s'empêcher de penser que c'était bien ainsi que son frère se serait aussi présenté. He looks like you Et le sourire amusé qui s’étire avec légèreté sur ce visage aux traits froids. Don’t worry. It's me who asked you to join me. A se redresser, main tendue vers la place libre face à lui. S'il avait pour habitude d'arriver à l'heure, il n'en tenait que peu rigueur les autres. Depuis jeune, il était celui qui attendait ce frère bien trop solaire à en perdre quelque peu la notion du temps.  Thanks you for agreeing to meet me quickly. Remerciement ponctué de la boisson commandée déposée devant l’infirmier. Déjà payée depuis son arrivée dans le café.

Reading my brother’s name must have surprised you. After all, it’s been 7 years. Le contact avait été rapide, peut-être même un peu trop direct, à nommer celui qui les avait quitté il y a déjà plusieurs années. Lui-même en est encore sonné, comme un deuil qu'il refuse de terminer par peur de le voir disparaître totalement. Il l'avait tû tant de temps, à l'y retrouver dans ce monde qui n'appartient qu'à lui. Aux images jalousement et douloureusement gardées. Mais aujourd'hui,  il se devait de le partager avec celui dont la confiance avait été inscrite avec sincérité. Were you close ?

nerveux, il essuie ses mains moites sur ses genoux tout en dégainant son fabuleux sourire, comme pour excuser son retard et sa gêne. avec reconnaissance, il hoche promptement la tête et se saisit du café glacé généreusement offert, malgré son manque de politesse. — That's normal, don't thank me. Jihan se moquerait de lui, à le voir aussi gêné ; en manque cruel d'assurance. était-ce la course, le fait d'arriver en retard ou le sujet principal de ce rendez-vous qui le rendait aussi nerveux ? pas de doute, Jihan avait toujours réussi à l'embarrasser.

alors qu'il porte son café à ses lèvres, la mention du défunt ; aussi rapide, aussi brutale ; le fait avaler de travers. il écarte le gobelet et se met à tousser dans la manche de son sweat trop large, jusqu'à irriter ses yeux d'où s'écoulent des larmes réactionnelles. — Sorry, sorry... i'm good, it's okay... sorry i just... swallowed it wrong. et si la gêne l'avait jusqu'alors rendu nerveux, cette fois-ci c'est la honte qui pigmente légèrement ses joues rondes, d'une tendre chaleur rosée. couldn't make a better impression for sure.

— Yes, we were... Your brother was like a best friend to me. et il ne pensait pas, Sujin, qu'il serait autant troublé en prononçant ses paroles, que ses prunelles s'inonderaient de ce chagrin intense qu'il n'avait jamais su (ou pu) extérioriser — au lieu de maudire le café, il le bénit car il masque son émoi, trop difficile à cacher. — I was very surprised, because... it's been years... il se rappelait de l'enterrement, minimaliste, privé. de son passage éclair devant la photo exposé de son ami qu'il ne reverrait jamais, à qui il ne pourrait plus confier ses peines ou réclamer conseil. et c'est une bourrasque, un enchevêtrement d'émotions incontrôlées qui le submergent, alors qu'il peine à simplement respirer. — wh.. why do you ... want to see me ?

Café poussé au bout de la table tout en l’invitant à prendre place, il en met de côté le retard et les excuses de l’infirmier d’un simple sourire sur son visage d'ordinaire froid. Premier contact fait seulement la veille après plusieurs jours de réflexion, à en mentionner un nom, un visage, au sourire disparu. Il ne perd pas de temps, Jae In, à amener le sujet sur la table. Sans préambule. Sans même ciller alors que le myocarde, invisible, se serre à chaque mention.  Trop direct. A en prendre de court Sujin en manque soudain d’air, perles salées au coin des yeux.  You’re okay ? La surprise marque légèrement ses traits, le corps en avant serviette en main tendu dans sa direction.

I’m sorry … I’ve to revive memories … Les émotions visibles sur le visage de l'infirmier en sont déroutantes d'honnêteté. De la gêne rosée qui teinte ses joues, à cet océan menaçant de s'écouler à chaque nouveau battement de cils sous l'assaut des souvenirs. Et ça le surprend, l'étonne, le touche bien plus qu'il ne l’aurait cru. A en découvrir la beauté de l'entourage de son frère. Un sourire doux s'étire sur ses lèvres alors que les obsidiennes se perdent dans la contemplation de son propre café non encore entamé. My brother was very important for me … and … Ha cette gorge qui se noue sous les émotions trop longtemps enfouies, aux doigts qui se resserrent autour de la boisson glacée. Même conscient de leur existence, elles n'en restent pas moins violentes, comme une tempête déchaînée au fond de son cœur. You were for him too. Et s'en était une certitude tant les mots trouvés en disaient long sur l'affection du défunt à son encontre. Pourquoi une personne comme Jihan avait dû disparaître alors même que son sourire avait tant de fois illuminé le regard des autres alors que lui ne sait que lire leurs douleurs.

Il s'agite sur sa chaise, delaissant sa boisson pour plonger sa main dans la poche de sa veste. This is a photo that I found in his belongings. Qu'il indique en déposant le bout de papier brillant usé par les années où y sont immortalisés les deux amis. And that too … Bout de papier indiquant le numéro de téléphone trouvé et enregistré dans son téléphone. Le mot confiance surlignée à plusieurs reprises pour y marquer son importance. Et la question qui brûle ses yeux d'en connaître les raisons de cette précision.

— You're okay ?
— i'm fine, it's okay.

les mensonges qu'on entasse pour masquer nos émotions honteuses — qui desservent ils ? malgré les yeux embués, la gorge nouée et le pincement affreux au cœur, il feint la sérénité — elle n'existe pas, en cet instant, elle est brisée sur la sépulture de son ami, en pleurs, inconsolable. et tandis qu'il retient ses propres émotions, lui parviennent en flots voraces, celles du jeune homme face à lui ; houle tempétueuse d'amour saupoudrée d'un sel naturel rendant les écorchures plus vives, les douleurs plus fulgurantes, tenaces.  les cils papillonnent un instant, d'incompréhension ; pourquoi cette rencontre ? pourquoi maintenant ? sept printemps avaient fané depuis, et la reconstruction tardait encore — était elle seulement possible ?

il a un mouvement de recul, Sujin, à la vue de cette photo — un flashback le ramène inconsciemment à cette soirée où l'insouciance remplissait encore ardemment le cœur des jeunes hommes, à laisser leurs tendres pensées voguer vers cet espoir invincible qui forgent les esprits pour les rendre plus combattifs encore — à cette époque, il ignorait tant !  et ce sont les regrets qui s'entassent sous ses paupières, en forme liquide, alors que ses doigts effleurent la photo usée, déposée là comme une offrande à une jeunesse passée — révolue, disparue.  il lui faut du courage pour se rassembler et ne pas s'effondrer sur l'instant, en proie à des assauts multiples d'émotions venant serrer fortement sa poitrine. d'ailleurs, son poing s'écrase contre celle-ci pour la masser, inconsciemment ; comme pour l'aider à surmonter ce qui le submerge. — yeah... it's... mais il n'a rien à dire, Sujin — ne veut pas montrer sa peine et se révéler trop égoïste. s'il a perdu un ami, il ne peut ignorer que Jae In a perdu son frère ; aucunement, il ne lui fera l'affront d'écraser son chagrin. — we were close, yes.

Regard avisé, à reconnaître le masque de sérénité à vouloir en faire oublier les yeux embués et la gorge nouée. Il les voit, ces signes qui ne peuvent trahir l’enquêteur qu’il est, trop observateur pour passer à côté mais l’ignorance qu’il feint pour en dissiper le malaise. Il ne peut que comprendre ce qu’il ressent, sa peine étant bien ancrée dans son cœur depuis sept longues années, à ne pas savoir comment la soulager à défaut de s’y être tout simplement habitué. Vivre avec les pincements, les souvenirs, les douleurs des visions où son visage se dessine dans des situations à lui en écorcher la poitrine.

Photo glissée entre eux, aux sourires lumineux des deux hommes où les obsidiennes peinent à se détacher des traits presque identiques aux siens. Elle ouvre les plaies qui n’ont pas su se cicatriser correctement, amène avec elle des émotions si longtemps contenues. Serre les doigts contre le café non encore entamé. Mais la marche arrière qui n’est plus possible et ce besoin de comprendre où Jihan veut l’emmener. Sourire tendre de mélancolie, Jaein secoue la tête face aux confirmations qu’il attendait. Jihan was a sunny person, right… Plus une affirmation qu’une question. Un vrai soleil, à illuminer sa vie et faire disparaître les ombres prêtent à l’emporter avec lui. A le mener sur un chemin qu’il n epensait pas être le sien. Soutien infaillible, même encore par les souvenirs. He trusted you so… I’ll follow his advice. Mot écrit dans le coin d’un bout de papier. Comme un indice à suivre.

Before his… death, he was in a case that seemed to disturb him. I don’t know what. Les sourcils se froncent au souvenir de ce frère au regard absent, à la mine froissée de contrariété lorsque sa tête était plongée dans ce dossier dont Jaein ne connaissait même pas le nom. Secret. Les départs qui se faisaient plus tôt, les retours plus tard. La fatigue marquée sur les traits, les gestes. Est-ce que s’il avait cherché à en savoir plus, à aller au-delà des " C’est rien, juste un truc chiant. ", son frère serait encore là ? Pensée poison d’un avenir qu’il ne connaîtra jamais. Jihan n’est plus là et aucun “Et si” ne pourrait le faire revenir. It took me a while to sort his things. Plusieurs années à simplement observer la boîte de pandore dans un coin de son appartement. A ne pas oser. A ne pas savoir comment affronter la tristesse qui l’accablerait. Les émotions sont rudes, violentes et le gobelet vient pour la première fois cacher ce visage qui peine à garder ce qu’il ressent sur l’instant. But, i found a barely completed file there and this notebook where there was your number. Et les voilà ici désormais, à faire face à la vague des souvenirs.  Didn’t Jihan leave you anything ?

il ne s'y était pas vraiment préparé, Sujin, aux conséquences causées par ces réminiscences ; remue ménage du passé non anticipé, et les émotions qui se bousculent dans son esprit — pas uniquement les siennes. dans la course folle de sa vie, il n'avait pas pris le temps de réfléchir réellement à tout ce que parler de Jihan pourrait faire ressurgir — deuil, douleur, tristesse, solitude... le soutien que lui avait apporté le frère de Jaein lors des premiers mois de vie de Soo Ah l'avait empêché à maintes reprises de sombrer, de perdre pied — et même après sa mort, il avait réussi à oeuvrer pour lui, à lui donner ce courage, de ne pas lui faire défaut. en égoïste parfait, il ne s'était même pas rendu compte des difficultés de son ami, de la pression subie par son travail, de sa mine plus fatiguée, de ses traits inquiets — rien. tout cela lui était totalement inconnu. foutue culpabilité qui revient en trombe, assaillir un coeur déjà bien trop éprouvé — i hate this.

les explications le laissent perplexe. il a l'impression d'être un inconnu — de ne rien savoir sur ce côté, plus sérieux, de Jihan. et soudain, il bafouille. ses paupières, légèrement embuées, papillonnent brusquement, de honte. — I'm sorry.. I.. I don't know anything... We... we didn't talk about work that much... faux ; il lui parlait de ses études, du fait qu'il ne pourrait pas les poursuivre au-delà afin de pouvoir subvenir au plus tôt aux besoins de Soo Ah ; ambitions revues à la baisse pour obligations familiales, Jihan était bien au courant de ses tourments — quand lui en ignorait tout.  — Just some stuff from our basketball team... I gave almost everything to his parents. il se reprends. — To your parents. lèvres mordillées par la gêne. — i think i kept his jersey and shoes. a team ball too. nervosité qui empire, les doigts glissent sur la tasse. — D'you want them back ? fausse manipulation, malchance ou maladresse ? le café s'étale. sur la table. sur l'enquêteur. et Sujin, au comble de l'embarras, se lève précipitamment en attrapant la boîte de mouchoirs. — Sorry, sorrry. vite, vite, éponger la chemise et le pantalon ; les mains à tatons, intrusives, qui répondent à l'appel — pour aider. camoufler. apaiser. soigner

Émotions en émoi, à lui nouer l'estomac sans être capable de même avaler ne serait qu'une gorgée de son café. Gobelet enfermé entre des mains au besoin d'être occupées pour ne rien laisser transparaître sur ce visage d'ordinaire imperméable. Boîte de pandore plus ravageuse qu'il n'aurait cru, à faire ressortir sept années de sentiments enfouis sous un travail acharné.  Il en a presque la nausée et chaque mot est plus diàfficile à sortir à mesure qu'il énonce les raisons de ce rendez-vous. Et il ne sait, Jaein, si ce sont ses émotions ou celles de l'infirmier qui lui enserrent le cœur aussi fort. Sincérité des sentiments aux trémolos de cette voix qui peine à ne pas trembler, à lui insuffler un élan de culpabilité face à la responsabilité qui est la sienne.

L'espoir si longtemps contenue s'estompa, éteignant cette faible lueur dansante au fond de ses prunelles sombres jusqu'à glisser sur ses doigts serrés d'une déceprion contenue. A quoi s'était-il attendu après d'aussi longues années ? Il le savait pourtant, que s’accrocher si rapidement et violemment à un « peut-être » rendait la chute plus difficile à digérer. Faible sourire fleurit sur les lippes à l’énoncé des affaires gardées renfermant souvenirs et passion des derniers instants. No, no… You can keep them. Autour de cette table, il n’est pas le seul à avoir perdu un être cher. Jihan si bien entouré, tant aimé des autres, à en rendre sa disparition trop violente, laissant un vide énorme autour de lui. Et le besoin, la nécessité, de chérir chacun de ses souvenirs, aussi petit soit-il. Les doigts se détachent, délaissant sur le côté le gobelet à peine entamé, alors que les yeux remontent sur la silhouette qui lui fait face, souffle retenue pour refouler le trop plein ressenti. Mais les mots se perdent dans l’action, corps poussé en arrière par la surprise du café venant éclabousser sa chemise, des mains venant aider, réparer dans un contact que peu s’autorise. Et ça le secoue. Tant le contact que la sensation d’apaisement qui en ressort. A avoir l’impression de moins étouffer sur l’instant. Don’t worry… I’m … it’s ok. Mais le corps qui s’agite, se redresse alors que de ses mains, il entoure les poignets couverts de tissu pour les éloigner, obsidiennes noyés dans leurs jumelles. … I’m ok. Really ? Perte de contrôle qui se profile face à ce qu'il ne maîtrise pas, il en desserre son étau, paupières papillonnantes, un pas en arrière comme pour se reprendre. I'm... coming back. doigts pointés sur son haut taché alors que la tête indique l'intérieur du café.

La porte des toilettes - vides - se referme derrière lui permettant au corps de s'affaisser, paumes posées sur l'un des nombreux éviers, tête baissée entre les épaules. Trop. Il y en a trop, à lui compresser la poitrine qu'il vient masser de son poing. Get over yourself, Jaein. Soupire qui s'échappe, empli la pièce silencieuse avant que la carcasse se redresse, les doigts s'agitent encore. Robinet actionné, chemise déboutonnée, le tissu glisse le long de ses bras jusqu'à ce que la tâche se noie sous le jet d'eau.

d'aussi loin qu'il s'en souvienne, il y a toujours eu des moments de gêne intense et improbable dans sa vie. ces instants où il aurait souhaité disparaître dans un trou de souris, qu'on ne le remarque plus et que les regards glissent sur lui sans s'attarder. ce besoin de vivre caché, de ne pas trop se montrer — par crainte, peut-être de ne jamais réellement être accepté. tempérament à se fondre dans la masse, à adopter le discours le plus englobant, à éviter à tout prix la singularité quand pourtant il en avait toujours eu une conscience folle de par son don. étrange, comme les contraires parfois s'attirent, puis se lient pour créer une osmose particulière au sein de laquelle évoluer ; comme une barrière — pour vivre heureux, vivons cachés.

il s'agit de l'un de ces moments. là où sa maladresse l'emporte sur la raison, et que tout un tas d'actions s'ébranlent successivement, l'enfonçant dans l'embarras — à déraison. papiers étalés sur la chemise, le pantalon, il éponge sans grand succès le costume de l'inspecteur qui doit valoir plus que son misérable salaire d'infirmier ; et dans son désespoir, il s'affole et s'éparpille ; et là où il aimerait disparaître, il prend toute la place et s'égosille — à l'aide, à l'aide crie une petite voix dans son esprit. ce sont ses mains vigoureuses qui le retiennent, l'arrêtent dans son délire, le stoppe dans ses actions intrépides. mains enroulées autour de ses poignets, et la chaleur qu'elles diffusent l'obligent au calme soudain. il n'est plus qu'un pantin, suspendu au regard de l'autre — désolé, et subjugué à la fois. pourquoi ?

et ça aurait été l'occasion parfaite, finalement. de partir, s'éclipser rapidement — ni vu, ni connu, à peu de choses près. peut-être qu'il aurait été perçu comme un lâche, mais qu'importe ? il n'avait rien à prouver. ça aurait été l'occasion parfaite de disparaître, oui. mais il ne la saisit pas, Sujin. reste un instant, les bras ballants et le regard perdu dans le vide, là où se trouvait quelques secondes auparavant le dos de cette chemise tâchée s'éloignant. et c'est l'une des employés qui le rappelle à lui-même en le hélant, lui demandant s'il compte nettoyer. alors, il s'active. nerveusement, nettoie la table en guettant la porte des toilettes, toujours fermée. il a fini depuis quelques minutes lorsqu'il se décide enfin à la lui ramener, sa sacoche qu'il avait laissé sur le siège d'à côté. elle a échappé de belle au café glacée, il n'ose s'imaginer la note si ça n'avait pas été le cas. avec prudence, il frappe à la porte mais le bruit des discussions des clients du café recouvre le tout, alors — il entre.

nez à nez face à ce torse aux muscles délicatement dessinés, c'est bouche bée qu'il s'arrête — fait tomber l'attaché case à terre. une main devant la bouche qu'il n'arrive pas à refermer, il s'excuse à nouveau en se baissant pour ramasser l'objet et le tendre. — sorry, i'm sorry... i don't know why i'm so clumsy today... i'm... did you manage to catch up the task ? should i help ? sorry... et puis, il étouffe sous cette sensation. lourdeur écrasante, et soudain le regard qui se fait plus dense, noyé par des larmes remplies de doute. — am i really such a pain ? demande formulée presque au supplice de ces sensations qu'il ne maîtrise pas — il se sent bête, inadapté ; et pour la première fois, apeuré à l'idée qu'il puisse simplement le rejeter.