119 — ft. Wang Kim

« J’ai bien peur que ce soit problématique pour ce cas-là, Wang-ssi. » avait tenté la directrice des ressources en prévoyant les rendez-vous.

« Ils sont tous problématiques. » avait rétorqué Kim, une fesse posée sur son bureau à consulter les dossiers qu’elle transférait sur sa tablette. « C’est le principe du hiatus. »

« Celui-ci est impliqué dans l’assassinat de sa sœur. »

« Charmant. »

« Sa sœur jumelle. »

Kim avait laissé planer un instant de silence, puis était descendue du bureau, prestement.

« Je prends. » confirma-t-elle.



« Bae Soan. »

Pas de réponse. Kim leva les yeux au ciel, attendit quelques secondes, l’épaule appuyée contre l’encadrement de la porte de son bureau. Ce n’était pas comme si le couloir froid qui faisait office de salle d’attente était particulièrement fréquenté ce matin.

« Bae Soan-ssi. » insista-t-elle, la voix plus dure.

Lorsqu’il sursauta, comme agité par un choc électrique, Kim se demanda comment on l’avait privé de ses pouvoirs. Certains héros portaient des gants, d’autres des colliers ou des bracelets. Pour d’autres, il avalaient des pilules ou subissaient des perfusions spécifiques chargées d’effets secondaires. Elle n’avait pas vu de mention à ce sujet dans son dossier qu’elle n’avait que balayé – elle détestait en savoir trop, car elle était rarement d’accord avec les examens médicaux préalables.

« Je vous en prie. »

Elle lui donna accès à une salle entièrement blanche, uniquement occupée par un canapé de la même couleur d’une forme indéfinie qui semblait être un gros morceau de pâte à modeler posé là. Son bureau, vide à l’exception de sa tablette ouverte sur un écran de contrôle attendait sa venue un peu plus loin. La pièce ne disposait pas de fenêtres autre que ces murs immaculés qui servaient de toile blanche à tout esprit un peu trop occupé.

« Prenez place. » indiqua-t-elle en lui désignant le canapé puis faisant virevolter ses doigts sur sa tablette de contrôle. « Pourriez-vous me décrire, je vous prie, votre moment préféré de la journée ? »

« Personne n’en a, à la première séance. » répondit Kim, imperturbable en pianotant sur son écran de contrôle comme si elle connaissait la réponse avant même de poser la question. « Je mets le mien, alors. »

Les écrans s’allumèrent à l’unisson, sans bruit, et les pixels composèrent en quelques secondes une représentation de l’espace liminal intérieur de Kim, sorte de refuge personnel où elle se recroquevillait quand tout allait mal et qu’elle avait envie de tuer le monde entier. Une campagne verdoyante s’étendit en 360° autour d’eux, à perte de vue, nappée d’un soleil estival et vibrante d’un champ de cigales. L’effet saisissant prouvait à quel point Athena devançait le monde entier dans le domaine des technologies du futur et notamment de l’intelligence artificielle générative. L’écran du plafond se colora de bleu et se ponctua de petits nuages blancs. Quelques oiseaux hologrammes le traversèrent.
Un lieu calme, sans bruits ou presque, sans personne, sans nuit pour exciter ses hormones prédatrices et ses peurs.
Le rêve.

Seuls les deux meubles de la pièce rattachaient les deux êtres à la réalité.

« Excellente idée, j’apprécie votre professionnalisme. » commenta la psychologue en contournant son bureau pour prendre place sur sa chaise. « Avant toute chose, je ne suis pas ici pour vous juger. C’est le travail d’instances précises, et il a déjà été fait. »

Six mois de prison avec sursis pour une complicité de féminicide, quelle bande de trous du cul.

« Vous êtes en hiatus car au regard des circonstances vous êtes considéré comme un danger pour les autres et pour vous-même, et donc inapte à vivre en société en tant que héros. Je suis ici pour faire en sorte que cette situation évolue pour le mieux, et que vous puissiez reprendre le cours de votre vie sans contraintes médicales ou judiciaires. Je ne ferai cependant pas de miracles et rien ne sera possible si vous ne participez pas. »

Elle croisa les jambes.

« Je ne suis pas une interrogatrice, ce n’est donc pas moi qui guiderai la conversation. Je suis là pour vous écouter. Considérez-vous dans un couloir sur les murs duquel je ferai apparaître des portes, mais ce sera à vous de choisir de les déverrouiller et de les ouvrir. Rien de ce que vous ne direz ne sortira d’ici. Absolument rien. Tout ce qui finira par remonter aux instances, c’est mon verdict sur l’état de votre santé mentale. »

Elle posa son regard indescriptible de reptile sur lui.


« Nous avons 45 minutes. Vous pourrez choisir de rester silencieux autant de temps que vous le souhaitez, mais gardez à l’esprit que plus vous parlerez, plus la situation évoluera et plus vous aurez de chance de sortir rapidement de votre hiatus. »

Elle laissa s’étendre un silence qui aurait été long et inconfortable pour toute personne normalement constituée.

« Les écrans sont régis par une intelligence artificielle qui s’appelle Pallas. Je peux faire apparaître ce que vous souhaitez si cela peut aider à formaliser vos pensées. Je vous écoute. »

@bae soan

A l’ordre de son patient, Kim haussa un sourcil.

« Eh bien, on avance. » commenta-t-elle à propos de la sœur défunte. « Les IA ont encore énormément de mal avec les êtres humains, en grande partie parce que nous sommes ceux qui les alimentons et que tant que nous ne saurons pas décrire avec précision ce que nous souhaitons voir apparaître, la machine ne fera que compiler des connaissances qu’elle a pour arriver au plus proche de ce qu’on demande. Avec une précision toute relative. »

En clair, les IA ne remplaceraient pas les humains d’ici demain, on avait pas à s’en faire.

« Vous êtes rempli de rage à cause du décès de votre sœur, ce qui est parfaitement compréhensible. Est-ce que vous vous sentez coupable de son décès ? De ne pas avoir réussi à la sauver ? »

C’était assez évident, mais on pouvait toujours être surpris, et ce que Kim avait rapidement appris, c’était qu’elle allait l’être régulièrement en commençant à faire ce métier. Ses propres convictions avaient été ébranlées par la plupart de ses patients, et à bien des égards, certains d’entre eux avaient réussi à lui faire peur. La vie de héros était difficile ; les responsabilités des grands pouvoirs, douloureuses. Elle-même n’était pas sans ignorer que la tranquilité avait quitté son quotidien dès lors qu’elle avait développé ses premiers pouvoirs. Le reste n’avait été qu’une suite d’obstacles qu’elle avait surmontés.
Pour le moment.

Kim changea de jambe croisée et son regard se posa sur Soan avec patience.
@bae soan