Mauvais Rêve || Han

09/11 ; 15h11 ; ootd ; lieu

Un sursaut bref anima Kim quand Han vint se coller contre elle. Elle avait oublié, après 6 ans de rupture familiale, presque 7, qu’avant cette tempête émotionnelle, Han la serrait tout le temps contre lui. Il avait toujours été comme ça, inconditionnellement lié à elle pour des raisons évidentes, à chercher son affection, sa chaleur et son odeur, quand Kim elle cherchait tout le temps celle de son père. Ce dernier l’avait habituée à se forger une fermeté sans égale que son entraînement militaire au sein d’Athena avait renforcé. Alors sentir ce corps pressé contre le sien lui procurait une inquiétante étrangeté face à laquelle elle ne savait pas encore comment réagir.

« Tu sais bien comment la société traite les mères célibataires, héroïne de classe S ou pas. Y’a bien des trucs sur lesquels la société a pas changé sous tous ses jolis vernis de modernité. Ca va m’en faire un deuxième, sans père officiel ou presque, du moins sans quelqu’un avec qui je suis mariée. C’est la merde. On va me prendre la tête à Athena mais ça à la limite je m’en fous, c’est mes enfants qui vont en souffrir. L’industrie va vouloir les voir, les montrer. J’ai caché Kyubok aux projecteurs avec acharnement pendant toutes ces années et là...Va y avoir un moment où je pourrai plus rien cacher. »

Le désespoir pesait dans sa voix. Elle n’avait même pas l’énergie de crier, de s’énerver, ou même de laisser éclater ses sanglots. La faiblesse de son ton révélait son épuisement face à une situation qu’elle avait bien sûr provoquée mais dont elle n’assumait pas les conséquences. Les médias allaient se jeter sur elle et probablement sur leurs parents.
Tout ça parce qu’elle ne pensait qu’à elle.

Le petit nez froid d’Han, animalement pressé contre son cou, la fit presque sursauter.

« Si tu veux. » souffla-t-elle finalement. « Je pense pas que tu puisses faire grand-chose de moi. Pourquoi j’ai l’impression que c’est toi qui a besoin de réconfort ? »

09/11 ; 15h11 ; ootd

« - Epouse-le, l'ancien taulard, il t'doit bien ça. » C'est pas aussi simple et Han le sait. Rien n'est jamais simple dans les jeux d'adultes. On rêve d'être une grande personne quand on est môme pour finalement se rendre compte, une fois arrivé là, que c'était mieux avant.
« - C'tu t'inquiètes pour nous, pour les parents, ils risquent rien. J'veux dire, ça fait des années qu't'es en haut, personne s'est intéressé à eux. T'as réussi  à faire de Boki un mystère, tu y arriveras avec le deuxième. » Le désespoir vibrant au fond de la poitrine de sa jumelle et de la sienne lui fait si mal. Il en soupire, pince les lèvres pour ravaler toute cette douleur qu'il aimerait faire disparaître d'un foutu claquement de doigts.

« - Parce que ça a toujours été comme ça. Moi qui m'effondre et toi qu'me dit que ça va aller. » Il esquisse un sourire contre le cou de Kim qu'il embrasse doucement. Avec la tendresse et l'amour fou d'un frère qui peine à se détacher de sa sœur retrouvée. Il faut bien le faire pourtant. Après avoir serré une dernière fois, ce corps jumeau contre le sien.
Han se redresse, tapote sur ses cuisses pour que Kim y dépose sa cheville. Il se frotte un instant les mains afin de les réchauffer puis attrape le pied dénudé entre ses paumes.

« - T'sais Kim, j'la laisserai pas bousiller ma famille encore une fois, la Grande. Elle m'a enlevé l'autre partie d'mon âme, j'la laisserai pas recommencer. Papa non plus. Personne acceptera. Et si t'dois devenir une paria juste parce que t'as décidé de faire ta vie comme tu voulais, largue la. T'as jamais été un pur produit d'sa machine de toute façon. » Personne chez les Wang ne l'est, c'est comme ça. Une marque de fabrique presque génétique contre laquelle on ne peut rien.
De son pouce droit, il trace une ligne du talon jusqu'au sommet des orteils qu'il masse, l'un après l'autre, longuement. En insistant sur tous les petits nœuds qu'il peut sentir, le regard perdu dans le vague comme si la cartographie de la voûte plantaire de sa sœur y était inscrite.

« - T'imagine, les repas d'famille ? La gueule de papa présidant la table ? » Il en pouffe un petit rire qu'il mâchouille en se mordant la lèvre.

09/11 ; 15h11 ; ootd ; lieu

« C’est vrai. » admit Kim.

Elle avait toujours été « la plus grande » même si biologiquement c’était faux, et même si c’était la fille. Parce que c’était une fille élevée par une féministe, et parce que c’était une fille élevée par Neo Wang. Elle n’avait pas le droit à l’erreur si elle voulait satisfaire son père, et elle se devait d’être forte en tous temps ; même quand elle était fatiguée, même quand elle était contrariée par des bisbilles à l’école, même quand elle était jalouse d’Han, même quand elle avait ses règles et même par la suite, quand elle eût été enceinte, puis recrutée par le Syndicate, puis qu’elle dut vivre un divorce calme mais prenant.

« C’est pas aussi simple. J’ai beaucoup de choses à perdre. »

Elle évita d’ajouter « contrairement à toi », parce que Han avait tout de même sa cheville droite dans la main et qu’il semblait capable de lui faire beaucoup de mal avec des petits gestes très simples. Il ne le ferait pas, mais dans les faits rien ne lui en empêchait.
C’était étrange, d’être traitée comme ça : avec tact et douceur. Il n’y avait bien que son frère pour faire ça. Et Jeon Orion, le temps d’une nuit d’évasion indescriptible et indécryptable.

« Pff, tu parles. » Elle reprit sa tasse et s’autorisa à détendre un peu le genou de la jambe posée sur la cuisse d’Han. « Ce sont les mêmes, tous les deux. Je te jure. Papa et lui ne s’entendront jamais. Pas sûr que le père veuille avoir quoi que ce soit à faire avec nous, de toute façon. »

Elle se contracta lors d’un toucher trop léger d’Han qui la chatouilla le long d’une zone qu’elle ne pensait pas sensible, grinça des dents quand il atteignit la zone reliée à son diaphragme – ah, leur mère en aurait, des choses à dire.
Elle désigna les mains d’Han.

« Tu lui fais ça aussi, à ton petit Jiji ? »

09/11 ; 15h11 ; ootd

« - Ah, donc t'as, un complexe d'Oedipe c'ça ? Coucher avec un type qui ressemble à ton daron, Kimi, quand même. » Han a ce petit rire qu'il n'offre qu'à sa sœur. « - C'dépend, si c'est vraiment un connard, il en aura rien à foutre. S'il est au moins un peu réglo, faudra bien qu'il s'responsabilise dans cette histoire. » Il continue son œuvre, tranquillement, avec tout ce temps du monde qu'on leur vole mais qu'il décide de prendre aujourd'hui, car ni lui ni elle, n'ont autre chose de mieux à faire.

« - J'sens, il est fermé d'chez fermé. C'est dingue que t'arrives encore à respirer. » Son pouce vient presser cette zone trop dure sous la plante du pied. Il s'y enfonce un instant, trace un cercle par-dessus le suivant. Cette zone réflexe est un livre ouvert sur la personne à laquelle elle appartient. C'est la première que l'on apprend et qui, bien souvent, n'a même pas besoin d'être citée tant elle est évidente et mère de bien des maux.
Han n'a pas l'acuité de leur génitrice, ni même la moitié de ses connaissances mais il n'en a pas besoin pour estimer la quantité de stress tissant ses nœuds sous la peau de sa jumelle.

« - Non, j'ai pas eu l'occasion d'le faire. » Ses sourcils se froncent alors qu'il engage bras et épaule dans une nouvelle pression toujours sur ce même point. « - On s'est rencontré y a quatre ans à une soirée. Min devait aller aux toilettes, j'l'ai accompagné et on passait devant une piaule au retour. Tu t'souviens le tremblement de terre ? C'était moi. J'l'ai sauvé d'un viol. » Quatre foutues lettres éveillant des envies de violence et de meurtre au fond de son ventre. Han s'assombrit un instant, levant les yeux du pied pour darder ses obsidiennes brûlantes en direction d'un point quelque part sur le mur au-dessus de l'épaule de Kim.

« - L'mouvement sur les réseaux l'a secoué mais il l'a suivi. Ca lui a fait autant d'bien que ça lui a été douloureux. C'compliqué parfois, de savoir comment l'appréhender, j'ai peur de lui faire mal, de raviver des trucs qu'il oubliera jamais. Si j'le touche comme je le fais là avec toi, il va souffrir encore plus et j'en ai pas envie. » Les cordes sont bien moins douloureuses à appréhender. Ce qu'elles invoquent à l'intérieur dépend de chacun.

Han soupire puis délaisse le point solaire pour continuer sa lente exploration.
« - Il en est amoureux, d'l'assassin. » Souffle-t-il, un peu vaincu, en baissant à nouveau le nez vers ses doigts et sa paume maintenant la cheville.

09/11 ; 15h11 ; ootd ; lieu

« Si j’avais vraiment aimé les hommes j’en aurais probablement épousé un qui ressemble à papa, oui. » répondit Kim avec aplomb, vexée. « Appelle ça comme tu veux. »

L’admiration de Kim pour son père n’était pas un secret. Comme toutes les petites filles, elle avait un jour songé à se marier avec lui, et espéré par la suite quand elle avait compris que ce n’était pas possible, trouver quelqu’un qui lui ressemblait.
Ca n’était jamais arrivé.
Même si Orion et Neo avaient énormément de similitudes psychologiques, ils étaient très loin d’être les mêmes personnes – et c’était tant mieux.

Han lui faisait mal mais elle encaissa. Fallait pas un diplôme pour savoir qu’elle était nouée de partout pour plein de raisons. Elle lui souhaita bonne chance pour dénouer ne serait-ce qu’un peu les tensions qui l’habitaient et qui tissaient quasiment sous sa peau une seconde armure – et son mod n’était même pas activé. Pour sûr, Han ne parviendrait pas à calmer tout cela en une seule séance.

Ses yeux s’ouvrirent sur le plafond à sa confidence.
Elle se rappelait l’état de colère embrasée dans lequel le live de Yu Lina l’avait plongé, alors même qu’elle pouvait s’estimer heureuse de n’avoir jamais été confrontée à cette situation. Les expériences de la téléréalité, pleines de pervers aux rapports de pouvoir désaxés, lui avaient suffi pour s’éloigner rapidement et le plus possible des milieux qui pouvaient favoriser ce genre de comportement. Son caractère désagréable faisait d’elle une cible difficile à atteindre.
Mais ce n’était pas inscrit sur le front des gens, et ça arrivait à...tout le monde.

« Je me souviens. Je suis désolée que tu aies assisté à un truc pareil. Tu as fait ce qu’il fallait. » Il s’en doutait certainement mais ça pouvait faire du bien de l’entendre. « Moui, c’est le risque. Il vaudra mieux qu’il aille voir quelqu’un qui est spécialisé là dedans. Ou maman. »

Toujours leur Chamane de mère.
La dernière révélation la surprit, même si au fond elle s’en doutait.

« Je ne suis pas étonnée. Ce sont des rapports qui se mettent souvent en place quand le disciple est vulnérable et qu’il n’a pas eu dans sa famille l’attention qu’il méritait. » Elle-même s’était sentie proche à un point affectif très prononcé d’Haejin alors qu’elle n’avait jamais manqué de rien. « Je pense qu’Orion a été un temps amoureux de lui aussi. Vu comme il m’en a parlé, ça ne trompait pas. J’ai camouflé l’interprétation en rapport père-fils parce que les séances sont enregistrées, mais il y a bien eu quelque chose de ce type. »

Elle sentit la déception d’Han plus qu’elle ne la remarqua véritablement sur son visage.

« Ils ont 10 ans d’écart, Han. Ils s’entretueraient, et je pense qu’ils le savent. Laisse lui le temps. Tu es une personne formidable et il ne lui faudra pas beaucoup de temps pour s’en rendre compte. »

Sa cheville se détendait dans la main d’Han. Elle se laissa aller contre le dossier de son fauteuil et ferma les yeux.

« Tu l’as attaché, déjà ? »