Mauvais Rêve || Han

09/11 ; 14h14


« Oui, le type qui est dangereux, oui. » grogna Kim en se pinçant le fragment de peau entre ses sourcils pour tenter d’enrayer une migraine qui montait à cause du stress et des sanglots qu’elle ne laissait pas sortir. « Non il m’a pas forcée Han, putain, tais toi une seconde ! »

Elle pinça les lèvres. Retenir ses pleurs commençait à devenir difficile, mais elle devait tenir bon. Dans leur lore, c’était elle la grande sœur, elle ne pouvait pas faiblir, car si elle faiblissait, Han n’aurait plus personne sur qui se laisser aller, et ça, ce n’était pas possible.
Sortant sa tête de ses mains, Kim repassa ses cheveux en arrière. Elle se moucha hors champ, et reprit sa respiration et une bouffée de cigarette. Ses yeux, rougis par les larmes, fixaient un point sur la forêt de béton de Séoul sans le voir.

« Je lui ai enseigné une technique de self-tie pour qu’il évite de se passer par la fenêtre. Il a testé, ç’a plus ou moins marché, alors on s’est vus, en dehors de ses séances, pour que je l’encorde. Je lui ai fait un papillon et j’ai...lassé faire, fin tu connais quoi. » Elle soupira. « C’est après que c’est parti en live. »

Elle cendra sa cigarette et tira dessus.

« Nos pouvoirs ont communiqué ensemble pendant l’after-care. Je pensais pas que c’était possible. Il en avait envie, j’en avais envie. Fin de l’histoire. »

Elle renifla tristement ; parce que c’était juste ça, en fait. Une brève histoire d’amour.

« Tu verras quand tu feras du shibari avec ton petit Jiji. » souffla-t-elle, essuyant rageusement une larme sur sa joue.

09/11 ; 14h14

Han pince les lèvres en miroir de sa sœur. Et se tait pour la laisser dérouler le fil de ce qu'il peine à imaginer tant elle avait l'air de le détester, ce type. Il acquiesce, pour une partie sur laquelle il est sûr de savoir justement. Il y a quelque chose de terriblement ironique, de drôle même, dans le fait que tous les deux, ils aient conseillés cette pratique à ces deux êtres liés l'un à l'autre.

« - Communiquer ? Mais c'pas les mêmes pourtant, c'pas possible, même nous ils sont pas pareil. » Il se souvient, vaguement, d'une histoire de papier et de sang. Faudrait qu'il gratter dans sa mémoire mais dans l'immédiat, il a la flemme et sa concentration du matin – de l'après midi – ne peut se tourner que vers un seul soucis à la fois, et sa sœur est plus importante.
« - Hm, c'pas prêt d'arriver. J'lui ai conseillé d'essayer, un peu comme tu l'as fais avec l'type, pour lâcher prise mais c'pas anodin comme pratique. » Pour ceux qui n'ont pas grandit dans leur univers, c'est presque terrifiant.

« - Tu vas le revoir ? Vous allez vous mettre ensemble ? P'tain, attend, j'arrive pas à assembler l'truc. » Il souffle et se redresse pour s’asseoir, le téléphone en appui sur son genoux. « - C'est lunaire ton histoire. Tu le détestais ce type, j'comprends pas. » Peut-être parce qu'il n'y a rien à comprendre.

« - T'peux les laisser sortir s'tu veux, j'dirais rien. » Il lui adresse un sourire peiné mais encourageant. Foutu écran qui dérange. « - T'veux que je vienne ? » Demande-t-il finalement après un moment de silence lourd.

09/11 ; 14h14


« Ecoute, je sais pas, mais c’est comme ça, c’est ce qui s’est passé, c’est pas le plus important...J’sais pas...MAIS NON HAN. » siffla-t-elle, excédée. « Je suis pas amoureuse, et lui non plus. »

Pour une lesbienne elle ne servait pas très bien la cause, diraient les féministes radicales, mais c’était pas trop au programme le féminisme en Corée, ça tombait bien donc.

« Y’a rien à comprendre, Han. Ca s’est passé, et je dois gérer la situation maintenant. »

Seule.
Comme d’habitude.
Le silence s’installa. Pesant. Lourd de ces histoires qui vous rappellent que vous êtes bel et bien entré dans l’âge adulte et que derrière les vies que l’on sauve et que l’on prend, derrière les projecteurs, derrière le surentraînement, il reste les petits problèmes humains.
Kim souffla nerveusement sa fumée.

Le front dans sa main, elle finit par acquiescer.

« S’il te plaît. »

Elle n’y arriverait pas, elle n’y arriverait pas cette fois.

09/11 ; 15h11 ; ootd

Han n'ajoute rien.
Les problèmes hétéronormés lui passent au-dessus de la tête. Ils le font quand ils ne concernent pas quelqu'un dont il est proche. Et alors qu'il voit sa sœur retenir ses larmes avec cette élégance qui lui donnait, à l'occasion, l'envie de lui coller des baffes tant elle sonne faux, Han se sent coupable. Il ne sait pas pourquoi puisque rien n'est de sa faute cette fois ci – la première fois non plus – mais il se sent coupable.
De ne pas être capable de protéger sa sœur comme il est censé le faire. Pas parce que c'est lui, le premier des deux à avoir gueulé trop fort mais parce que c'est comme ça. Parce qu'il aimerait être comme leur père, imposant et fort, droit devant les tempêtes du monde pour s'imposer en protecteur de leur famille.
Mais Han n'est pas leur père.
Il soupire doucement.

« - J'm'habille et j'arrive. » L'image devient floue alors qu'il se relève et tape des pieds sur le parquet en direction du placard devenu sanctuaire.
« - Prépare nous un chocolat hm, pour t'occuper l'tête. » Il tire sur un vêtement qui en décroche d'autres dans son mouvement, jure et alors qu'il s'apprête à couper la conversation.
« - Kim, attends... Donne ton adresse, j'sais pas où tu vis. » Il pince les lèvres en offrant à sa sœur un regard désolé. C'est d'un ridicule de ne même pas connaître l'adresse de sa moitié. Pas sûr qu'elle sache elle aussi, où il vit depuis qu'il a quitté pour la seconde fois la maison familiale.
« - Hm, noté, j'suis là dans pas longtemps. » Cette fois la conversation se coupe, le silence retombant dans l'appartement lui semble si lourd. Même les couinements du jouet de Moth ne parviennent pas à remplir ce murmure assourdissant que l'annonce a laissé.

Il a trop de questions qui tournent dans sa tête lorsqu'il se gare au bas de l'immeuble de Kim. Des pourquoi et des comment. Il sait qu'il n'y a rien à comprendre mais il aimerait comprendre, ce qui a poussé sa sœur dans les bras de ce type. Une communication de pouvoirs, c'est si peu commun qu'il n'arrive pas à imaginer ce que cela peut faire. Lui qui a voulu, toute sa vie, ressentir cette symbiose avec sa sœur, jusque dans leurs pouvoirs qu'il imaginait similaire.
A défaut il est l'antithèse de sa propre jumelle. Est-ce qu'elle le sait ?

« - Hey. » La porte se referme et lui vire ses pompes d'un jeu de cheville un peu brusque, les pousse dans un coin puis il vient se couler, naturellement, contre sa sœur. La prend dans ses bras et l'y serre, de toute la force de cette affection singulière n'appartenant qu'à eux qui sont nés deux.
« - T'es pas seule, j'suis là, hm. On va gérer. » Pourra pas faire grand-chose sinon l'aider, du mieux qu'il peut cette fois. En gardant la tête froide et sobre au lieu de la foutre au fond de tous les verres de tous les bars de la ville.

09/11 ; 15h11 ; ootd ; lieu


Quand Han eut raccroché, Kim resta un moment là, à fixer l’écran noir, devenu miroir. Elle se mura un instant dans un silence bourdonnant de pensées, restée seule avec ses angoisses. Est-ce qu’elle devrait appeler sa mère, son père en attendant ? Non, ce n’était pas quelque chose qu’elle pouvait leur dire au téléphone. Et surtout, qu’est-ce qu’elle allait dire à Kyubok ?
Elle ne pouvait pas lui en parler, pas avant d’être certaine que tout cela allait continuer. Elle n’en était même pas sûre.

Et soudainement, elle ne voulut pas que ça s’arrête.

Soudainement, Kim se redressa et rabattit l’écran de son ordinateur avant de quitter le balcon. En rentrant, elle écrasa sa cigarette dans un cendrier et se déshabilla sur le chemin de sa salle de bains. Même si c’était son propre frère, elle ne pouvait pas l’accueillir dans cet état. Elle prit une douche militaire et se rinça le visage, sans toutefois se remaquiller derrière. Elle gribouilla un chignon à l’arrière de sa tête et passa un ensemble de survêtement, avant de chausser ses converses qui lui servaient de pantoufles chez elle.

L’odeur du chocolat avait empli l’appartement quand Han y pénétra. Kim avait disposé deux immenses tasses sur un plateau de bois mais son attention fut rapidement distraite par la seule personne qui avait le droit d’entrer dans cet appartement sans être ni Orion, ni Kyubok.

Son corps se coula naturellement contre celui de son frère et elle se remercia d’avoir fait la paix avec lui juste avant que tout cela ne lui tombe dessus. Sa chaleur l’envahit, lui faisant immédiatement monter les larmes aux yeux.

« Merci. De ne pas me laisser toute seule. »

Si elle avait été amoureuse d’Orion, et qu’ils se fréquentaient depuis un moment, elle l’aurait appelé. Elle se serait blottie contre lui en lui demandant de la rassurer. Mais elle n’en avait pas envie. Cela ne lui paraissait juste pas...pas logique. Ce n’était simplement pas ce qu’elle voulait.

« Viens. Si on s’installe ici ou sur le balcon je vais avoir envie de fumer. »

Et il serait de bon ton qu’elle arrête, donc.

Elle entraîna Han dans son dressing, déposa le plateau sur une petite table noire toute ronde, secondée par deux poufs. Lorsqu’elle referma la porte derrière elle, l’ambiance changea immédiatement : silencieuse, feutrée.
Kim ouvrit un des placards muraux qui s’avéra être un immense refuge à serpents ; des dizaines de cordes de toutes les tailles et de toutes les couleurs pendaient, là, sagement nouées et alignées les unes avec les autres. Kim s’empara d’une cordelette rouge de petite taille, qu’elle enroula autour de ses doigts avec une nervosité évidente.
Elle se laissa tomber sur le plus grand des deux poufs – Orion y avait été ligoté quelques jours auparavant et son indécence avait des limites – défit la corde pour la laisser claquer sur le sol et entamer un maillage extrêmement complexe qui traduisait les nœuds qu’elle se faisait à la tête.

« Il le sait pas. » indiqua-t-elle. « Papa et maman non plus. J’ai trop peur de leur réaction. »

09/11 ; 15h11 ; ootd

« - C'est à ça qu'sert la famille. » Une de ses mains oscille sur le dos de Kim, caresse et essaie de chasser les mauvaises ondes. Tout ce chagrin qu'il sent aller et venir au gré de sa paume. S'il lâche sa sœur c'est à contre cœur mais il acquiesce calmement. La suit, là où il ne pensait pas mettre les pieds. Qui emmène sa visite dans son dressing ? Personne.
Sinon Wang Kim.
Et alors que s'ouvre un placard, Han cille plusieurs fois. D'abord surpris avant de laisser un sourire doux et complice à la fois s'étendre sur ses lèvres alors qu'il se laisse tomber sur le deuxième pouf, étendant ses jambes devant lui sur le sol nu.

« - Ah, toi aussi ? J'les range dans l'placard à la maison aussi. » C'est tellement évident, au fond, comme planque. Et en même temps, un tel endroit reste quelque chose de relativement personnel, d'intime, où normalement, personne ne va y mettre les pieds.
Han scrute son environnement, ce blanc, partout. Ce propre et ce statique qui lui donne un instant l'impression d'être dans des vaisseaux spatiaux des dessins animés de son enfance. Impersonnel, c'est ce qu'il pense, un peu tristement en reportant son attention sur sa sœur et le jeu de la corde auquel elle est en train de jouer.
Tout en se penchant pour attraper une tasse qu'il enlace entre ses doigts, il hausse les sourcils en pinçant les lèvres.

« - Papa va être retourné, j'pense. Dans un peu des deux sens. Maman, j'serais pas étonné qu'elle le sache déjà, avec ses foutues cartes qui voient tout. » Il souffle doucement sur sa tasse. « - Et j'parie que s'il pouvait, papa te ferait réintégrer la maison fissa. C'toujours mieux qu'une ceinture de chasteté hm. » Un murmure de rire vient troubler la surface du chocolat fumant qu'il porte à ses lèvres pour en faire glisser une gorgée sur sa langue. Frissonnant d'un plaisir prenant racine directement dans le ventre de son enfance, Han ferma les yeux. Savoure la danse affolant ses papilles tout en soupirant d'aise. Tout semble tellement plus simple, avec une tasse de chocolat chaud entre les doigts.

« - Tu vas lui dire ? » Il ne précise pas à qui car il ne sait pas vraiment à qui il pense en posant cette question. Kyubok, évidemment, qui sera le premier impacté par toute cette histoire. Petit bonhomme avec une vie déjà si compliquée qui devra alors la partager. Encore.
L'ancien mentor de Jiji qui se retrouve à devoir jouer un nouveau rôle. En espérant qu'il sera moins incompétent avec son môme qu'il l'aura été avec Jiji. Son nez se plisse d'une aversion nauséeuse qui ne lui ressemble pas réellement et qu'il ne s'explique pas.
De tous les types qui traînent dans cette foutu, faut que ce soit un ex ou un fou dangereux. Son regard se relève vers sa sœur alors qu'il se demande si c'est une névrose, une pathologie, un manque. Si c'est génétique et s'il est lui aussi dans la merde.
Ou si c'est juste une profonde solitude qui parle et qui est, peut-être, un peu de sa faute.

09/11 ; 15h11 ; ootd ; lieu


« Où veux-tu que je les mette ? Que je les expose dans le salon ? » demanda Kim d’une voix égale en refermant le placard.

Elle s’était installée sans prêter attention au chocolat qu’elle avait préparée pour elle aussi. Han l’aimait brûlant contrairement à elle, qui appréciait la petite saveur de « froid » impossible à décrire que l’épice prenait en rafraichissant, sur le dessus de la mousse. Pour l’heure, l’odeur lui donnait simplement la nausée – et pourtant les symptômes n’étaient pas censés avoir commencé. Sans aucun doute sa psychologie pâtissait de ce choc.
On ne leur apprenait pas à être préparé à cette éventualité, au Syndicat. Elle était déjà mère, et pourtant ce choc était encore plus grand. Sans doute parce qu’elle connaissait à peine le père.
Enfin si, elle avait lu et relu toute sa vie et son casier judiciaire. Mais c’était pas pareil. Et on ne connaissait pas quelqu’un en faisant l’amour avec lui. Elle l’avait bien compris avec Seojoon.

« Je crois que ça me dérangerait pas, de rentrer. » dit-elle finalement, continuant à broder des boutons de rose dans son sac de nœuds rouges. « C’est pour papa et maman que ça me dérange. Je me sens seule depuis des années. Mais j’ai des horaires de merde et une semaine sur trois j’ai un fils à la maison. Ils ont du être contents de retrouver leur calme quand je suis partie, et quand tu es parti à ton tour, je ne sais pas... »

Non, elle ne savait pas.
Elle était partie en 2017, à même pas 19 ans, après l’éclatement de la vérité, et elle n’était plus revenue. Elle était partie enfant, fière et capable. Revenir ressemblait à la perspective d’une cuisante défaite.

« A qui ? »

Elle se foira sur un nœud pour la troisième fois consécutive et décida de le laisser un peu tranquille. Sur le plateau, elle échangea le bouquet de roses entamé avec sa tasse, qu’elle glissa entre ses cuisses croisées en tailleur dans un exercice de souplesse terrifiant de naturel.

« Tant que la viabilité de l’embryon n’est pas assurée, c’est inutile de le dire à Kyubok, il est trop petit, et je ne veux pas le brusquer si jamais ça ne tient pas. Au père...oui, il va bien falloir vu que... »

Sa phrase se suspendit en plein vol ; elle chercha quelque chose dans son esprit sans le trouver, puis reporta son regard sur Han.

« Tu ne me demandes pas si je le garde ? »

En un sens cette absence de question était logique. Ils avaient été portés par une mère catholique qui ne laissait qu’une éventualité possible dans cette situation tout en leur assurant qu’elle respecterait leur choix le moment venu. Quand Kyubok s’était installé dans son ventre, Maria et Neo l’avaient su très tard dans la grossesse, la question ne s’était pas posée.
Et maintenant, que diraient-ils, quand ils le sauraient ?
Kim décrivit des arabesques sur le bord de sa tasse du bout de ses doigts nus, ignorant la brûlure sourde de la poterie contre ses paumes.

Han ne posait pas la question, comme si c’était normal.
Comme si, cet enfant aussi, aurait du être le sien.