The dildo of consequences often comes unlubed. || Isaï

Le videur de l’Eros eut un mouvement de recul.

« Je suis désolé madame, vous ne pouvez pas rentrer avec ça. »

L’immense cactus planté dans un pot tout aussi immense pivota légèrement et la tête de Kim apparut derrière, entourée de celles d’autres personnes éberulées devant le surréalisme de la scène.

« Je vais complètement rentrer avec ça. » assura-t-elle d’un ton glacial.

« C’est une arme, madame. »

« C’est un cadeau pour Isaï. »

« Et vous êtes qui, pour offrir un cadeau à Monsieur Guerra, madame ? »

Kim s’avança, faisant reculer le videur d’un pas. Sa figure blanche, au maquillage contrasté et délicatement poudré, apparut sous les lumières de l’enseigne.

« Je suis sa meuf, espèce d’abruti. » siffla-t-elle entre ses dents. « Fais-moi rentrer, maintenant, ou je t’enfonce ce cactus là où il n’y a pas de lumière. »

Silence.
Evidemment, elle ne ferait jamais un tel scandale, déjà parce que sa réputation était précieuse, et ensuite parce que le cactus en question était son fils Kyubok, en plein test de ses pouvoirs qui venaient de se déclarer depuis quelques mois.
Le « test » consistait à taper ses meilleurs caprices et à se transformer en énorme cactus qui pouvait décharger ses épines à plusieurs mètres à la ronde quand il était contrarié. Comme maintenant.

Le videur fit quelques pas en arrière et abdiqua. Kim lui passa devant sans le remercier, et pénétra dans le club où elle prit directement le chemin de la mezzanine grâce à laquelle on accédait au bureau d’Isaï, qui lui fut ouvert immédiatement dès qu’elle fut reconnue.

« Salut, j’ai pas pu le faire garder. » dit-elle tout de suite en entrant.

Elle dégagea ce qui se trouvait sur un guéridon – le courrier, les factures, l’urssaf de mon cul ou je sais pas comment ça s’appelle en Corée – et déposa la plante (pardon, l’arme) dessus. Elle accompagna la fermeture de la porte du bureau de son « mec »d’un coup de talon et lui présenta son téléphone ouvert sur Instagram.

« C’est qui cette pute ? »

Il l’entendait déjà.
Il en avait déjà des sueurs froides.
La mauvaise humeur qui vous titille comme un début de diarrhée qui commence à vous tourmenter l’estomac.
A deux doigts de sentir ses fesses se serrer comme ses doigts autour du stylo.
La pression sur le papier qui s’intensifie et la signature qui devient déjà plus agacée.
Un soupir qui passait ses lèvres une première fois, comme si il cherchait à se préparer émotionnellement à l’arrivée d’un trois tonnes qui débarque à pleine vitesse dans son bureau, puis une seconde fois quand elle passait la porte.

Ô rage,
Ô désespoir,
Ô vieillesse ennemie,
Qu’avait-il encore fait pour qu’elle vienne ici ?

Sa main s’était levée pour congédier le garde du corps qui lui avait lancé un regard inquiet. Il avait beau ne pas l’avoir regardé lorsqu’il était passé près de lui, il l’avait bien senti. Et il comprenait ?
« Oh quel plaisir de te voir mon canard en sucre, tu es vraiment de toute beauté aujourd’hui, tu es allé chez- » Sa tirade ironique et moqueuse, d’un ton monotone et d’un foutage de gueule non dissimulé, balancé alors qu’il continuait d’étudier ses documents était stoppée nette.
« Cette pute ? » Sa curiosité avait été piquée. Il avait finalement levé les yeux vers elle et s’était penché un peu plus sur son bureau, les paupières plissées afin de pouvoir mieux analyser la photo qui lui était présentée.
Une salle de sport.
Un selfie miroir. Classique.
Une tenue de sport légère.
Une silhouette vraiment charmante.
Et un visage qui lui dit vaguement quelque chose ?

Il avait retenu un sourire malin sur ses lèvres. Il la reconnaissait, il l’avait vue hier. Mais à la place, les sourcils s’étaient levés. Etonnement clairement joué. Il s’adossait plus confortablement sur son siège pour mieux la prendre de haut. Le jugement, la désapprobation, c’est bien la mélodie qu’il comptait lui jouer. Sortez les violons, que le chef d’orchestre soit préparé.
« C’est donc comme ça que tu traites tes alliées féminine? Une pute ? » L’injure était en gras et souligné dans le ton de sa voix. « T’es entrain de la juger ? Putain Kim, ça te dit quelque chose : 2024, la liberté de la femme, tout ça ? Et la solidarité féminine dans tout ça Kim ? » Et lui ça lui dit quelque chose l’expression : noyer le poisson ? « Elle m’a tout l’air d’être quelqu’un de très respectable qui fait du sport. C’est super le sport. Tu verrais comme elle est souple ? » Quoi ? « Tu devrais en faire d’ailleurs. Du yoga ou j’sais pas, quelque chose pour apaiser ton âme, un truc dans le genre. » Quelque chose qui pourrait occuper son temps et l’empêcher de débarquer dans son bureau comme une furie ? Par exemple ouais. « Même si c’est plutôt un exorcisme qu’il te faut dans ton cas. »
Elle n’allait pas la lui faire à lui. Il ne serait clairement pas étonné de la voir grimper sur les murs avec sa tête tournée à 180 degrés. Et puis, vu le nombre d’insulte qu’elle peut lui lancer, est-ce que ce ne serait clairement pas un signe de possession démonique ?
Piste à explorer.
A ajouter sur la To do list : se fournir de l’eau bénite et lui en jeter sur la gueule, riant comme un goret, en la voyant fondre … Un petit plaisir de la vie. Un rêve à accomplir. Une destinée ?

Un peu de sérieux s’il vous plait.
Pourquoi elle sait pas faire garder un cactus la nouvelle Emily Rose déjà ? « C’est quoi ça ? » Il avait désigné la plante d’un signe de tête. « Tu t’es dis que tu gâchais pas suffisamment ma vie donc t’as décidé de ruiner le Feng Shui de mon bureau ? »

« Et c’était Mainsplanning, d’Isaï Guerra, tous les soirs sur MNET en première partie d’Utopia, merci d’être venu. » grinça Kim.

Ah bordel, les hommes !

« T’es une femme maintenant ? T’as changé de genre pendant que j’avais le dos tourné, tu t’identifies au féminin désormais ? Dis-le moi hein, ça m’arrangerait d’arrêter de dire au monde que je suis hétéro mais c’est pas aussi simple que ça. En attendant garde tes beaux discours, pas d’utérus, pas d’avis. »

Elle mélangeait un peu tout mais fallait croire que noyer le poisson c’était aussi devenu un sport de combat pour elle. En même temps, on faisait pas carrière prometteuse dans la télé en étant une gonzesse adorable et sincère. Faudrait qu’un jour elle lui montre comment ça se passe entre les héroïnes dans les couloirs des sous-sols d’Athena, au hasard dans la prison. Elle lui en foutrait, de la sororité ; heureusement qu’il avait une belle gueule, un bon phrasé, et une affaire qui tournait très bien.

Son écran se mit en veille et elle tapota dessus pour le réveiller, plaçant sur le plateau de la table une fesse effectivement rebondie qui aurait pu être plus tonique tout en ignorant sa remarque sur son physique. Tout le monde en faisait, c’était un peu une marque de politesse coréenne, et elle ne pouvait pas les contrer car cela aurait été informer qu’elle avait été enceinte et il en était hors de question.
Sauf là.

« Une alliée qui drague mon mec d’un peu trop près, ce n’est plus une alliée. Principe de trahison de base, tu connais ? » Elle fronça le nez. « C’est mon fils. Il maîtrise les plantes à ronces et quand il est contrarié il se transforme en cactus et je dois veiller à ce qu’il ne se désèche pas, mais ne change pas de sujet. »

Elle abandonna son portable sur le plateau et se pencha plus en avant en direction de son prétendu compagnon.

« Si tu tournes autour d’autres filles non seulement ça te fait passer pour un gros charo, donc ça à la limite je m’en fiche, mais moi, ça me fait passer pour une conne. T’as de la chance de pas être un héros car si tu laissais seulement entendre que t’es disponible mais pas trop, tu te ferais agresser dans une rue par des fan timbrées qui t’écrivent des lettres d’amour passionnées avec le sang de leurs règles. »

Vécu.

« Je repose donc ma question : c’est qui ? »