Everybody's changing (junseo)

« Tu as droit à 2 heures, pas plus. » Avait averti sa mère, une fois que toutes ses missions de la journée furent accomplies. Encore des interviews et des shootings aux heures interminables. « Si on t’interpelle, reste toujours souriante mais brève » Un hochement de tête dans un silence lourd, pesant. Comme toujours, cette maison était toujours vide d’émotions. Sous le regard glacial d’un père avec qui la communication était au point mort depuis trop longtemps, Rei s’était téléportée sans demander son reste. Un profond soupir lui avait échappé une fois atterrie à quelques pas du Seoul Art Center. Doux soupir fatigué, témoin d’une pression accumulée ayant besoin d’être un peu relâchée. Cette exposition sur Vincent Van Gogh tombait à pic. De ce qu’elle en avait entendu, cette dernière était vraiment très jolie. Elle avait hâte.

A peine devant le perron du bâtiment qu’on la reconnait déjà. Des fans l’interpellent avec joie, émerveillés de voir Shooting Star en personne. Cela maintenant deux mois que son visage est de plus en plus exposé, que la célébrité est à portée de bras. Rei joue le jeu avec un sourire bienveillant, accepte de faire un selfie, de signer quelques autographes. Si belle et si gentille, la bonté incarnée. Est-elle réellement sincère ? Dans le fond, elle n’est pas vraiment à l’aise avec tout ça. Si elle avait le choix, sa vie serait beaucoup plus paisible. Hors de questions néanmoins de blesser qui que ce soit. Qu’elle le veuille ou non, son image publique dominait sa vie à présent. Il fallait donc composer avec. « Merci à vous, je vous laisse à présent. Profitez bien ! » Un petit signe de la main pour les saluer... et la douce étoile file dans le hall.

C’est avec émerveillement qu’elle découvre un lieu bleuté, où le temps semble suspendu. Où son sourire, cette fois, semble plus pur que jamais. Le regard aussi pétillant qu’admiratif, Rei parcoure les différentes salles en s’attardant sur les œuvres de l’artiste néerlandais. Au bout d’un certain moment, elle sent une présence non loin, qui l’intrigue sans comprendre pourquoi. Ses yeux de biche se tournent alors vers la personne en question. Un jeune homme. Grand. Beau. Son profil harmonieux lui semble curieusement familier. En s’attardant un peu plus sur lui quelques secondes, son cœur finit par perdre un battement de surprise. Impossible...

« Tu dessines bien ! » Son regard se tourne vers le garçon l’ayant complimenté. Rougissant malgré elle, Reina s’empresse de cacher le croquis. « Oh mais tu fais des manhwas ? Génial ! Je peux voir ? » Insiste le garçon en l’empêchant gentiment de tout ranger. « Non ! » S’exclame-t-elle en finissant par vite jumper à quelques mètres. Prenant un petit air surpris sur le coup, il finit par éclater de rire. « D’accord, d’accord ! Tout doux, petit lionceau ! » Petit lionceau ? Derrière ses joues adorablement roses, Reina semble plus perdue que jamais. Qui est ce garçon et pourquoi diable est-il aussi mignon ? Elle ne l’a jamais vu… « Je suis nouveau ici. Comment t’appelles-tu ? On pourrait devenir amis » Assure-il en s’approchant d’elle prudemment pour ne pas l’effrayer.« Ne sais-tu pas qui je suis ? » Feint de gronder la belle, en serrant les poings. « Non… je devrais ? » Elle se téléporte une fois de plus pour le punir de cet affront. Une fois encore, il s’esclaffe beaucoup trop adorablement. Et alors qu’un sourire se risque enfin à orner les lèvres de l’adolescente, une troisième voix s’élève pour stopper leur petit jeu. « Ito Reina. » Son regard se tourne vers celle qu’elle doit considérer comme sa meilleure amie. « Elle s’appelle Ito Reina et vous n’êtes clairement pas du même rang. Tache de ne pas l’oublier la prochaine fois, hm ? » Prévient-t-elle avant d’obliger Rei à la suivre. Rei dont la tête se tourne pour observer le garçon une dernière fois... lui souriant tristement.

Ce garçon, c’est lui : lui, lui ayant adressé la parole, il y a des années de ça. Lui à qui elle devait le pseudo ‘little lion’ du temps où elle publiait des manhwas. Lui qui, sans même le savoir, lui avait donné le courage de se perfectionner ; de devenir une dessinatrice plus que jamais passionnée, avant que tout s’écroule. Ce garçon… était tout simplement à quelques mètres d’elle. Craignant qu’il finisse par la regarder à son tour, Rei s’empresse de tourner la tête, reste focus sur l’œuvre qu’elle a sous le nez. C'est vraiment, lui...

Un réveil pénible, comme tous ces matins où le réveil sonne immanquablement vers 5h. L’esprit embrûmé, Junseo entrouvre un oeil, à demi contrarié. Une fois de plus, questionnement et affliction prennent le pas sur ses pensées ; Ce rituel auto-infligé pour tenter de rester stable, constant, rigoureux, semblait une bonne idée à l’origine. Seulement le constat aura été sans appel très vite, non, Jun n’est décidemment pas de ceux dont les premières lueurs de l’aurore font frémir de joie. Mais le plis de l’habitude le pousse finalement à s’extraire du regretté confort de ses draps.

Des gestes insconcients, maîtrisés ; des allées et venues hâtives dans l’appartement, jusqu’à l’heure du départ pour le centre d’entraînement d’Athena. Lorsqu’il n’a pas cours, où que son emploi du temps n’est pas chargé de photoshoots ou autres events cossus, le trainee se rend assidûment au terrain d’entraînement. L’intransigeance, ce cheval de bataille depuis toujours mais encore plus particulièrement ces dernières semaines, le maintiens à flots. Telle une vieille connaissance familière et indésirable, l’anxiété avait repointé le bout de son nez avec force. Alors pas le choix, il fallait s’occuper, deux fois plus, pour maintenir les pensées à bonnes distance. Partagé entre ses activités, le temps ainsi défile rendant les jours plus paisibles.

Aujourd’hui ne fait pas réelle exception, à un détail près cependant. Dans son programme, Jun s’est autorisé une fraction de répit. Porté par la promesse d’une heureuse redécouverte, ses pas lui font bientôt franchir les portes du Seoul Art Center afin d’y admirer la récente et prestigieuse exposition de l’*éternel* Van Gogh. Fasciné, comme aux premières fois, il se promène en silence le long des oeuvres aux motifs et couleurs emprunts d’étincellante poésie. Les mots, inutiles, laissent place à l’imagination et à la contemplation, précieuses carnations dansants sous ses yeux.

Du coin de l’oeil, un mouvement pourtant imperceptible le sort de sa transe. À quelques mètres de lui seulement, une jeune femme, figure sibylinne et discrète, semble l’épier innocemment. Un croisement de regard, éphémère, presque manqué. Curiosité aussitôt piquée, Junseo fait mine d’être désintéressé, regardant par dessus son épaule comme abruptement intrigué par un tableau au loin. Si à l’instant présent la situation n’avait rien d’étrange, bientôt, le délicat profil de la curieuse jeune fille semble raviver quelques souvenirs. Les rouages de la mémoire ont du mal à se mettre en place, mécanisme rouillé, délibérément. Mais cette fois, un présentiment lui murmurre à l’oreille. Souviens toi.

Comme tenter de reconstruire un puzzle dont la seule pièce dévoilée se tiendrait devant lui, il fronce les sourcils, se concentre. Une attitude réservée et pourtant incapable de contenir sa soif de curiosité, ça ne lui est pas inconnu. Traces vaporeuses, esquisses d’un temps encore tendre, où les inquiétudes pouvaient être balayées d’un revers de main, refont surface. En tentant de la déchiffrer avec attention, ces fragments s’éclaircissent soudainement. Une histoire… de lion et de rang ? Oui. Association singulière et déroutante, mais pas étrangère. Peut-être que…

Avec un étonnement non dissimulé il se tourne vers la jeune femme au regard résolument fixé sur l’oeuvre en face d’elle, se rapproche, tentativement. Une pause, un silence léger, pour ne pas brusquer. Puis après avoir répéter le nom dans son esprit, il se lance. ‘’Reina… ?’’. Un soubresaut, presque indiscernable, lui apporte la réponse qu’il attendait. Aussitôt, l’esquisse d’un sourire incrédule se forme, l’incitant à poursuivre. ‘’Je n’ai jamais eu la réponse au final. Au sujet d’être amis’’. Il s’arrête un instant et, se remémorant leurs au revoir à la fois abrupte et désopilant, jette un coup d’oeil furtif aux alentours pour s’assurer de l’absence d’un comique de répétition ; Enfin, non sans humour ‘’à moins que tu ne doive repartir tout de suite ?’’.