broken ideals — ft. Reina

Rendez-vous après rendez-vous, Haryu avait réussi à éviter le mariage, à ne s’amouracher d’aucune créature ; peu importe le patrimoine, peu importe les charmes. Trop terrifié à l’idée d’aimer, à l’idée d’être malaimé aussi, pouvoir trop lourd à porter pour son âme chétive – tétanisé à l’idée de la blesser, patrimoine trop intéressant pour qu’on le regarde lui.  

Convoqué dans un restaurant huppé par ses parents ; son père lui avait ordonné de s’apprêter – tenue chic exigée prétendra-t-il, et le géniteur lui demandera également de ne pas faire de folie sur le terrain, sous entendu « ne te mets pas minable au combat ». Le jeune homme ne sait pas vraiment à quelle sauce il va être mangé, mais il l’a compris, choisir n’est guère une fantaisie qu’il peut se permettre.

Quand il entre dans le salon privé, il a un peu d’avance ; bien maigre, quelques minutes tout au plus – mais au moins il n’est pas en retard. Quelle n’est pas sa surprise,  quand il voit trois inconnu face à son père et sa belle-mère, alors qu’il pensait manger en tête-à-tête avec son père. Ceci explique cela. Il salue poliment tout le monde avant de s’asseoir à côté de son père, face à la jeune femme. Il reste immobile un instant, les doigts accrochés à la chaise alors que son père semble le toiser, sévèrement, avant d’acquiescer. Il s’installe à son tour et tout le monde se présente. Pendant ce temps, le jeune homme observe la jeune femme, tant qu’elle ne le regarde pas ; cherche à éviter son regard. Elle est jolie, il serait assez fou pour dire que d’apparence, elle ne lui plaît pas – elle est d’une beauté à laquelle Haryu n’oserait jamais toucher ; fruit défendu qu’il ne pourrait que souiller. « Reina » était son prénom. C’est son propre père qui prend la parole en premier :

— Bon… Maintenant que tout le monde est là, je suppose qu’il est temps de rentrer dans le vif du sujet…

Il marque une pause, l’air solennel.

— Nous avons beaucoup discuté ensemble, et je ne vais pas tourner autour du pot : nous allons vous marier.

Carmine a la sensation de se prendre un seau d’eau sur la tête, mais il reste impassible. Il phase complètement.

— Vous représentez de bons partis pour rassembler nos familles. Et mon fils, je souhaite que tu te maries tant que tu es encore jeune.

Carmine est contrarié ; encore une fois, son père lui agite sous le nez le fait qu’il ne maitrise aucun aspect de sa vie, fait semblant de lui laisser le choix pour mieux lui imposer ses décisions en bon père de famille, comme il aime le formuler si souvent, trop souvent. Mais il se tait, car il sait que l’heure n’est pas à ses revendications – et qu’en plus de ça, elles seront toutes écartées sans plus d’arrière-pensées. Après ça, le jeune homme n’écoute pas vraiment la conversation, jusqu’à que sa belle-mère ouvre la bouche.

— Le mieux, c’est qu’on vous laisse faire connaissance. Après tout, vous allez partager votre vie dorénavant.

Et tout à coup, ils se retrouvent seuls ; deux inconnus attablés à la même table, voués à être marié alors qu’ils ne connaissent rien l’un de l’autre. À se demander comment ses futurs beaux-parents avaient pu accepter qu'il marie leur fille. Son père avait menti, c'était sûr.
Le silence finir par s’installer un moment, avant qu’Haryu ne soit le premier à prendre la parole :

— Tu étais au courant ? Ton qui se fait plus dur qu’il ne le voudrait.

Puis il soupire.

Quelle angoisse.

Honnêtement, elle ne s'attendait pas à ce que tout ça arrive aussi vite après son entrée dans le cours des grands. Visiblement, ses parents ne voulaient pas perdre de temps. Plus que pour l’alliance de deux grandes familles ou le buzz marketing que cela allait engendrer, sa mère tenait plus que tout à ce que son image reste parfaite. Loin de toutes rumeurs sentimentales que l’on pourrait lui attribuer avec le premier venu dans un vulgaire magazine people. Shooting Star était pure. Shooting Star ne flirtait pas aisément avec n’importe quel homme. Et Shooting Star allait bientôt avoir un fiancé. Un jeune homme de son rang, aussi prestigieux qu’elle.

« Mademoiselle, vous devez y aller » S’empresse de dire l’une des domestiques, inquiète en la voyant au fin fond de son lit. La belle soupire, repousse péniblement la couverture, parée d’une magnifique robe. Déjà prête pour le bal. Sur le point d’être liée à un véritable inconnu. Sa mère a beau lui répéter que tout ceci n’est que pure stratégie, elle déteste cette sensation amère d’être enchainée à un destin qu’elle ne décide pas. Mais elle ne dit rien, Rei. Une fois arrivée sur le lieu propice, elle joue le jeu et se montre agréable avec ses futurs beaux-parents, bien que ses beaux yeux soient particulièrement éteints.

En le voyant arriver au loin, ce qu’elle ressent est étrange. Certainement qu’elle le connait mieux que lui. Connu depuis plus longtemps, allure délicatement masculine pour un visage angélique aussi beau que l’enfer lui-même… le grand Carmine n’a plus rien à prouver à qui que ce soit. C’est du moins ce que les gens imaginent de lui, à commencer par ses parents. Rei s’ose à le scruter timidement lorsqu’elle en a l’occasion. Lorsqu’il ne fait pas de même et qu’elle ressent son regard posé sur elle.  Plus intimidée que lui, certainement. Comment pourrait-il en être autrement, tandis qu’elle est plus jeune et  inexpérimentée dans ce domaine ? La veille encore, elle espérait quelque chose de bien plus authentique. Deux êtres tombant amoureux l’un de l’autre sans que personne ne les ait forcés. Ce qui tombe à la place, c’est cette annonce. Amère. Injuste. Elle ne peut qu’écouter le père du jeune homme sans broncher, sentant la pression silencieuse que lui imposent ses propres parents. Rei reste sage, comme elle l’a toujours été. Rei n’a pas le choix. Haryu et elle finiront mariés. Pas de tout suite mais les fiançailles auront forcément lieu cette année. La voilà enchainée à ce parfait inconnu qu’elle ne connait pas et qui ne sait rien d’elle...

...Félicitations.

Leurs géniteurs s’éclipsent pour les laisser seuls mais l’ambiance n’en est pas moins lourde. Le ton dur qu’il emploie en s’adressant à elle l’intimide. Elle le sent bien : à quel point tout ceci le contrarie. A quel point il ne voulait pas d’elle. Et elle ne peut pas lui en vouloir. « Ils en parlaient depuis quelques semaines » Rei le dit du bout des lèvres, n’osant pas affronter son regard pour le moment. « J’ignorais que ça arriverait aussi vite » Une confession plus qu’honnête, avouée d’une voix douce, éteinte. Elle aussi, elle a du mal. Mais elle ne peut rien dire. Rien faire pour empêcher ça. « Je suis désolée… » Fâcheuse manie qu’elle a, de toujours tout prendre sur elle. Comme si c’était sa faute.  « Tout ce qu’ils attendent de nous, c’est qu’on fasse bonne figure en jouant le couple parfait. » Sa mère lui avait déjà confié l’idée d’une télé réalité pour eux. L’audience exploserait si cela arrivait, battrait des records... Athena semblait partante pour le projet. De quoi en avoir la nausée. « Si vous aimez déjà quelqu’un… je vous en prie, continuez. Je ne vous causerai pas de tort » Se risque-t-elle à dire, visage d'ange baissé... sincèrement navrée pour lui.

Pour eux.

Il sait que sa réputation le précède ; de ses débuts chaotique et le drame qui s’en est suivi, la remontada en classe S qui blanchit cette image que son père chérit tant – alors que ses mains sont couvertes de sang. Haryu, il a du sang sur les mains et il s’en sort indemne ; impuni, acte n’ayant aucune conséquence quand tu as le porte-monnaie qui va bien. Pour le reste… il sait qu’il n’y a souvent pas d’entre deux : soit on le déteste (pour des raisons évidentes), soit on l’adore (pour des raisons un peu moins évidentes). Toujours est-il qu’il sauve des vies, quand dans l’ombre, il en prend d’autres ; ça personne ne le sait.

La réputation de Reina la précède également ; il le sait, même si le monde de l’influence est loin de l’intéresser, le monde des héros non plus – totalement désintéressé de l’univers dans lequel il évolue et des gens qui la composent ; mais les gens parlent, Carmine a autour de lui quelques personnes qui connaissent bien mieux le pedigree de la jeune femme que lui. Ce dernier se doute quoi qu’il en soit qu’ils ont sensiblement le même compte en banque. Enfant loin d’être naïf des manigances de leurs parents.

— Tu en as de la chance.

Le sarcasme dégouline d’entre ses lèvres avec une aisance insoupçonnée.

— Il ne se sont même pas donnés la peine de me le dire.

Héros désabusé, vraisemblablement en colère face aux cachotteries de son père – courroux loin d’être tourné vers la jeune inconnue face à lui. Et ce n’est pas comme s’ils s’attendaient à une quelconque annonce informative de la part de sa belle-mère ; cela faisait bien longtemps que sa relation avec elle avait fini par être vouée au néant, à force de refuser de la regarder comme une mère.

— Super, il commente quand elle lui explique qu’ils doivent faire bonne figure. Ca me fait une belle jambe.

« Comment faire bonne figure en public quand nos parents nous imposent un mariage arrangé alors que l’on est déjà en dépression ? » Haryu se notait intérieurement d’en faire la recherche sur google plus tard. Son père voulait vraiment l’amener au comble du désarroi.

— Je n’ai personne, il rétorque instantanément. Presque trop vite.

Il y avait bien quelqu’un en réalité, mais ce n’est pas comme s’il allait se passer quoi que ce soit maintenant. Qui voudrait de lui, maintenant qu’on l’avait jeté dans les bras d’une autre femme ? Et quoi qu’il en soit, lui il l’aimait, mais qu’en était-il d’elle ? Il ne lui avait jamais avoué ses sentiments, n’oserait jamais le faire, trop effrayé à l’idée de briser à nouveau quelque chose qu’il pourrait toucher de ses doigts.

— Ne sois pas désolée. Personne n’a eu le choix. A part nos parents.

Bien que contrarié, il a la présence d’esprit de se rendre compte que la jeune femme face à lui n’y peut rien non plus. Leurs parents sont les seuls responsables de cet égoïste dessein. Ça lui donnerait presque envie de s’excuser à son tour, mais il a peut-être l’avantage de l’âge pour se dire que ce n’est pas à lui de s’excuser.

— Tu peux me tutoyer. La situation est déjà assez gênante comme ça… Je pense que ce n’est pas nécessaire d’en rajouter…

Après ça, il laisse le silence s’installer entre eux un moment, posant son coude sur la table avant de poser son menton sur la paume de sa main, s'appuyant sur la table de manière plutôt décontractée. Cette fois-ci, il l’observe plus franchement, ne se cache plus pour la dévisager.

— Je ne comprends pas pourquoi tes parents veulent te marier. Tu es encore jeune… et tu es jolie. Je suis sûr que tu pourrais facilement trouver un fiancé, un vrai.

Et les lèvres du jeune homme s’ourle d’un sourire rempli de tristesse, que personne n’en devine jamais les états d’âmes perpétuels du héros. A le faire passer pour ce qu’il n’est pas ; quand les apparences ne sont que trompeuse – Carmine n’étant qu’un rôle qu’il se donne pour protéger Haryu. Et là, les deux semble s’effacer l’un dans l’autre, brouillant la barrière entre le héros et la personne.

Que peut-elle dire d’autre ? Son minois reste baissé. Pas besoin que ses yeux se redressent ou d’être devin pour saisir les paroles acerbes du jeune homme. Le sarcasme qui fuite sans gêne d’entre ses lèvres pulpeuses. Reina ne capte que trop bien… à quel point il ne veut pas être ici. A quel point il ne veut pas d’elle. Elle est habituée à ça. Certainement qu’il la détestera lui aussi, qu’il sera contraint de jouer le jeu comme ces personnes se disant être de sa famille. De la chance, vraiment ? Pense-t-il que ça l’amuse ? C’était pourtant tout sauf drôle. Et à elle aussi, ça lui fait une belle jambe.

Apprendre qu’il n’a personne dans sa vie ne la satisfait même pas. Elle aurait préféré, limite. Au moins, il aurait pu être heureux de son côté. Il aurait eu de véritables moments de tendresse avec un être cher à son cœur. Et qui serait assez fou et idiot, à présent, pour s’enticher d’une personne déjà engagée ? Qu’elle le veuille ou non, l’un comme l’autre deviendrait un poids pour chacun. L’obligation de ne pas faire souffrir une tierce personne avec si peu à donner de manière officielle. « Je suis quand même désolée » Ne peut-elle pas s’empêcher de souffler du bout de ses lèvres roses. Parce que, d’une façon ou d’une autre, Rei savait… que cette situation allait les  tourmenter.

Le tutoyer ? Lui ? Il est pourtant bien plus connu qu’elle. Plus âgé aussi. Elle allait essayer. Faire de son mieux. Ce serait sans doute plus facile comme ça. Qui sait ce que leurs parents leur réserveront par la suite. Le silence qui s’en suit la laisse pantoise. Se risquant à redresser son visage, ses yeux rentrent en contact avec ceux du jeune homme. Ce dernier ne se prive plus pour la scruter sans ménagement. La profondeur de son iris sombres la prend étrangement au dépourvu. Un peu interdite, Rei fait de même quelques secondes, dans un moment suspendu dans le temps… avant de finir par détourner ses yeux noisette, gênée et rougissante. Pourquoi s’ose-t-il à la regarder ainsi, elle avait quelque chose sur le visage ? L’intimidante sensation qu’on essaie de décrypter son âme.

Ce qu’il déclame ensuite ne peut que lui arracher un sourire également, aussi chagriné que le sien. Jolie ? Capable de se trouver un vrai fiancé ? « Si j’avais le choix, je ne serais pas ici » Assure-t-elle d’une voix éteinte, feignant de sonder les clients attablés de ses prunelles. « C’est même affligeant, à mon sens, de me fiancer à l’âge que j’ai » Elle qui n’avait rien connu encore. Aucune expérience en la matière. Pas même le moindre baiser volé. Pas le choix, non. Avec prudence, son attention se tourne de nouveau vers le jeune homme. Physiquement, ça matcherait probablement. Dire qu’elle ne le trouvait pas attirant serait un mensonge. « Vous… » Non, Rei. Il t’autorise à le tutoyer. « Je veux dire, tu… » Son minois se baisse une fois de plus. Une brève esquisse, aussi perdue que navrée. « Tu es très beau, toi aussi. Tu pourras toujours séduire qui bon te semble en secret, même lorsque ce sera devenu officiel » C’est sans doute maladroit. Beaucoup trop, en réalité. Une façon bancale de lui expliquer qu’il n’aurait pas à se restreindre pour elle. Qu’il peut faire ce qu’il veut. « On devrait… se dire les choses sincèrement dès le début » Suppose Rei, s’assurant une seconde que leurs parents soient toujours assez éloignés. Sa petite langue humidie ses lèvres de façon hésitante. « Je ne t’imposerai jamais rien. Je ferai tout pour que ce soit le plus facile possible entre nous, même si la situation semble accablante à cet instant » Lentement, son regard revient retrouver le sien. « Et j’aimerais que tu fasses pareil » Qu’il ne la malmène pas en la privant du peu de liberté qui lui reste encore. Qu’elle n’ait pas l’impression de quitter une prison pour entrer dans une autre. Qu’il ne devienne pas, lui aussi, son ennemi.

Au fond, et une fois de plus, Haryu est en colère contre son géniteur et ce qui lui sert de belle-mère ; aucune animosité à l’égard de la jeune femme qui partage le même destin funeste que lui. Ca l’adoucit un peu de savoir qu’elle ne semble pas s’en réjouir non plus. Au moins ils étaient deux avec une épine dans le pied.

Il reste silencieux quand elle s’excuse à nouveau ; lui n’est pas désolé de la situation, simplement car il n’a pas choisi – ce n’est pas de son fait. Il est évident que la situation va les tourmenter tous les deux ; pour autant, ce n’est pas comme s’ils avaient le choix – et ce n’était qu’un tourment de plus à tout ceux qu’il avait déjà.  

Alors il veut au moins avoir une certaine proximité avec elle même s’ils n’ont pas le même âge, même s’ils ne sont pas faits pour s’entendre. Mais lui, il se sentira un peu plus à l’aise avec elle s’ils enlèvent cette distance – peut-être qu’elle aussi.

— Je m’en doute, il rétorque en soupirant.  

Il sourit d’abord, quand elle implique qu’elle est trop jeune pour se fiancer, ça l’amuse un peu, puis finalement, il reste silencieux, à détourner le regard, à rougir quand on le complimente – garçon timide, qui ne pourra jamais rester de marbre face aux flatteries de ses demoiselles. A cacher son visage en appuyant sa main contre son visage, accoudé à la table ;  geste pas nécessairement digne de l’étiquette, on en conviendra.

Il finit par se racler la gorge, mais elle se remet à parler avant qu’il puisse dire quoi que ce soit.

— Sur quel sujet voudrais-tu qu’on soit sincère dès le début ? Il demande, se doute que ça ne va pas sûrement s’arrêter à la surface.

Et si c’était réellement le cas, elle risquait de ne pas être déçue du voyage – à découvrir à quel point il est cassé, tourmenté ; anesthésié par les médicaments pris à outrance.

— Ne t’en fais pas. Je ne suis pas ce genre de… de… mec. 


Il ne sait pas pourquoi il a hésité, parce que c’est le seul mot approprié dans ce contexte.

— Je n’ai pas envie de t’accabler non plus.

Si sa réputation de héros intimidant et difficilement approchable le précédait, Reina n’avait pas à faire à Carmine mais à Haryu. Malgré tout, il est plutôt protecteur, et surtout, gentil.

— Faisons une alliance contre nos parents, il finit par proposer, à tendre son auriculaire pour acter leur nouvelle promesse.

Quand les mains sont montrées ; abimées par les combats, à devoir couper sa peau pour pouvoir créer ses armes de sang, preuve de son dévouement. A presque vouloir trouver une forme de réconfort dans cette relation, quand le mythe de Carmine ne pourra que voler en éclat sous le regard de la jeune héroïne. Bien que prudent, à ne pas vouloir se dévoiler trop vite ; de peur de la faire fuir, de souffrir face à quelqu’un qui ne comprendra pas non plus sa peine, ne voudra pas être proche de quelqu’un comme lui.

Un regard surpris sublime ses traits poupons, à la vue de ce beau visage rougissant en douceur. Est-il embarrassé par son compliment ? Si on lui avait dit, un jour, qu’elle parviendrait à faire rougir quelqu’un comme Sin Haryu… Sans doute aurait-elle ri avec gêne en secouant la tête, persuadée de ne pas avoir ce genre de pouvoir sur un jeune homme de sa trempe. Petite étoile alors joliment étonnée, qui se surprend soudainement à le trouver mignon, aussi surprenant l’adjectif soit-il. Petite jumper qui s’affole à sentir ses joues s’empourprer à son tour, comme une bête adolescente.

« Sur tous les sujets possibles » Admet-elle en reprenant contenance, souhaitant sincèrement jouer franc-jeu avec le beau fiancé. Mais peut-être était-ce encore trop tôt et l’endroit bien trop risqué. Tous deux avaient aussi besoin de digérer l’annonce. Les voilà liés sans même se connaitre. Sans même avoir eu le temps d’éprouver ne serait-ce qu’un soupçon d’affection l’un pour l’autre au préalable. Ce n’était pas ce que la belle aurait voulu comme première (et visiblement ultime) expérience amoureuse. « Je ne suis pas ce genre de fille non plus. Je… » Elle se mord la lèvre honteusement. Comment avouer qu’elle n’y connait absolument rien ? « Je... n’ai jamais eu de petit-ami. » Se contente-t-elle de murmurer. L’image de Shooting Star, parfaite lolita - aussi sulfureuse que paradoxalement vierge - n’était pas entretenue pour rien. Son regard se risque à rencontrer de nouveau le sien. Un sourire aussi beau qu'éteint étire ses lèvres. Pathétique, n’est-ce-pas ?  Il a le droit de le penser.

Elle-même se fait pitié.

Mais quand notre vie tout entière est dirigée par d’autres, le temps pour vivre ses propres expériences n’existe pas. Et ses parents contrôlaient tout, de façon si méticuleuse que cela en était terrifiant. Les horlogiers du diable.

« Faisons une alliance contre nos parents » Une proposition qui la rend autant perdue que désespérément soulagée. Oui. A cet instant, Rei ne peut que sentir heureuse dans son malheur. Elle qui aurait pu tomber sur le pire des prétendants… semblait avoir trouvé l’allié le plus imprévu qui soit. Bien que joliment sonnée, ses yeux de biche se mettent à briller. L’envie de craquer. Encore plus lorsque le beau Carmine se risque à tendre son doigt le plus petit pour sceller cette promesse.

« Tu… » Un doux rire lui échappe, tout sauf mauvais, incroyablement bienveillant. Une tendre esclaffe qui lui permet de vite sécher le coin perlé de ses prunelles. Quel geste mignon... « … Comme des enfants ? » N’est-ce-pas ce qu’ils sont au final ? Un petit garçon et une petite fille aux deux cœurs fragiles, meurtris par les sévices de leurs géniteurs. Son regard s’attarde sur la main abimée d’Haryu et son cœur se serre. Rei suppose que lui non plus, n’a pas une vie facile. Qu’au final, ils ont des similitudes. En témoigne sa propre main - malade - qui s’avance difficilement à son tour. Celle qui doit faire l’effort pour que le pacte soit scellé. Cette petite menotte, officiellement blessée gravement dans un accident de voiture… officieusement brisée en morceaux par un père furieux en ayant appris sa passion pour le dessin. Souvenir douloureux effacé de sa mémoire par Athena. Mais la cicatrice présente sur le dos de sa main, elle, n’oublie pas. Lentement et du mieux qu’elle le peut, Rei vient lier son petit doigt à celui de son ainé. L’image de deux mains abimées désormais indélébile. « 約束する » Sursurre-t-elle dans sa langue, du bout des lèvres.