(fb, avril 2019) lemon hard || haryu

lemon hard
lundi 01/04/19 ; 14h26 +ootd

cw : deuil, évocation de meurtre

« Je suis vraiment censé faire ça ? »

Gil Rae-Im releva les yeux par-dessus ses lunettes carrées de secrétaire sévère, tapotant le bout de son stylo contre ses dents. L’agente de Jaehwan l’interrogea du regard et replaça une mèche raide noir obsidienne derrière son oreille.

« C’est pas compliqué Jaehwan, si tu écris pas bientôt, Athena va rompre ton contrat et tu peux dire adieu à tes droits d’auteur. »

« Je leur ai déjà dit adieu quand ils ont retiré la biographie d’Orion des ventes. »

« Peut-être parce que Orion a eu la bonne idée de buter quelqu’un. »

Jaehwan serra les dents et jeta un regard noir à l’éditrice. Cette dernière se redressa dans un soupir avant d’ouvrir une petite bonbonnière sur son bureau qu’elle lui présenta ; il la dédaigna. Elle jeta un bonbon contre sa langue et se balança sur son siège de droite à gauche.

« Ca fait trois ans maintenant, Jaehwan. Faut que tu passes à autre chose. Il est en taule, il sortira dans cinq ans s’il a de la chance. Si t’écris pas quelque chose maintenant tu vas te faire dégager, c’est tout ce que je te dis. Tu prends ce contrat, tu m’écris une belle fanfiction, tu reçois le virement, fin de l’histoire. »

Elle le chassa comme une mouche.

« Salle 404. Casse-toi. »

La mâchoire verrouillée, Jaehwan quitta le bureau et rasa les murs des couloirs d’Athena jusqu’à la salle indiquée. Le héros avec qui il avait rendez-vous ne pouvait pas avoir accepté un rendez-vous pareil. La main sur la poignée de la porte, Jaehwan espérait qu’il n’était pas venu. Un pouvoir aussi proche de celui d’Orion, une histoire aussi proche de celle d’Orion, c’était surréaliste.
C’est une mauvaise blague, un poisson d’avril.

Il ouvrit la porte.

« Bonjour. Carmine, c’est ça ? »

Il était venu.

La porte se referma derrière lui, les enferma dans un silence feutré. Jaehwan eut immédiatement la nausée tandis que des palpitations se déclenchaient dans sa poitrine. Il se força à sourire et à adopter son attitude relâchée de circonstances ; aller mec c’est ton métier, secoue-toi.

« Je suis votre biographe, je suis chargé de raconter votre vie sous le meilleur angle possible pour faire de votre histoire un récit passionnant, plein de paillettes et de fantasmes inavoués. »

Il ouvrit la fenêtre avant d’étouffer, glissa une cigarette entre ses lèvres.

« Vous êtes plutôt lemon soft ou lemon hard ? »

@sin haryu

« Bien sûr, excusez-moi. »

Jaehwan décida simplement de le vouvoyer parce qu’il avait oublié son nom civil sur le moment. Tout était allé très vite pour lui aussi, et l’histoire d’Haryu lui rappelait désagréablement celle de son amant parti en taule. Les circonstances était désagréablement similiaires, et quelqu’un s’en sortait désagréablement mieux que l’autre.
Bref, cette entrevue serait malaisante pour tout le monde, et il fallait faire en sorte d’en finir vite, parce qu’ils étaient payés pour cela, et qu’ils n’avaient pas d’autre choix.

Jaehwan laissa planer de longs instants de silence, le temps qu’Haryu accepte sa présence. Sa hanche s’appuya contre le bord de la fenêtre et il glissa une KT&G entre ses lèvres. Le paquet de la marque de clopes la plus tendance de la société coréenne regagna sa poche, et il fit claquer son briquet sèchement au bord de la cigarette.
Cultivant son cancer du poumon en silence, Jaehwan s’accouda à la fenêtre. Le temps humide et froid avait recouvert Séoul d’une nappe de brume qui donnait l’impression que la tour d’Athena s’élevait de ténèbres post-apocalyptiques et flottait au dessus d’un monde en désuétude. Peu de personnes savaient ce qui se tramaient derrière ces murs, et à quel point c’était bien plus grave que ce qu’il se passait au dehors.

Jaehwan n’en savait pas grand-chose, et préférait se focaliser sur ses durs souvenirs des bidonvilles de Séoul, à l’heure où il pensait crever d’inanition, la tête dans une des tranchées boueuses de son quartier de naissance.

« Ca m’arrange, si vous ne vous rappelez pas très bien de ce qu’il s’est passé. Nous allons pouvoir l’inventer. Créer de toutes pièces la manière dont vous auriez voulu que cela se passe. »

Il se retourna en direction d’Haryu, ses reins appuyés contre le mur, ses deux coudes juchés sur le bord de la fenêtre.

« Votre esprit transformera vos souvenirs de toute façon ; pour se protéger. Pour éviter que vous vous jetiez par la fenêtre, accablé par la culpabilité. C’est toujours comme ça, quand quelqu’un meurt. »

Il porta sa cigarette à ses lèvres, soupira en même temps qu’il crachait sa fumée.

« C’est trop tôt, j’en ai conscience et j’en suis désolé. Mais on ne nous laissera pas sortir de cette pièce sans rien. Si cela peut vous soulager, je monterai le récit de toutes pièces, j’en ai l’habitude. Mais il faut que vous me donniez quelques bases, afin que l’ensemble soit crédible. »

La seule solution que trouva Jaehwan pour encaisser la tension qui montait dans l’air fut de lever les yeux au ciel. Cela donna l’impression qu’il se foutait de la gueule d’Haryu mais c’était surtout pour ravaler ses propres larmes. Il détestait voir les gens pleurer, mais un vrai héros ne pleurait pas – il était dressé comme ça et on ne changerait pas cette nature profonde, formatée depuis le plus jeune âge. On chialait en silence, dans l’intimité secrète des chambres fermées à double tour. Pas au boulot, pas devant un presque inconnu même si c’était un collègue.

L’histoire d’Haryu résonnait désagréablement avec celle qu’avait vécu Orion, à cela près que ladite Joy n’était pas une bombe. Mais il avait échoué à la sauver, exactement comme Ori n’avait pas réussi à sauver Pal, à la désamorcer.

Jaehwan pinça les lèvres, reprit contenance et tira une dernière bouffée sur sa clope. Athena était dégueulasse de le forcer à faire ça si tôt, avec une personne qu’il connaissait à peine alors qu’il prenait toujours le temps de connaître la personne avant d’écrire sur elle, était de l’ordre de la plus profonde cruauté.

« Vous avez fait de votre mieux. Ce n’est pas de votre faute. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à croire, mais vous avez fait ce que vous pouviez et ce que vous sentiez juste à ce moment-là. »

Il jeta sa cigarette par la fenêtre et referma cette dernière à contre-coeur. Instantanément, l’atmosphère gorgée des larmes d’Haryu s’épaissit plus encore si toutefois c’était possible.
Ils ne pouvaient pas rester là.

Jaehwan se pencha par dessus la table pour attirer l’attention du héros.

« Nous n’arriverons à rien dans cette foutue pièce. Accepteriez-vous d’aller faire un tour avec moi ? »

Loin de ces quatre murs étouffants.
Loin de ces putains de caméras.