Les abîmes — Yeon

Tu le sais, Yeon,
Que le monde est injuste.
Que ça fait mal,
Que ça rentre sous ta peau et te hante jusqu'à la nuit.

Ils ne sont que des gosses que l'on a aimé d'une drôle de manière, avec des coups, des hurlements, et finalement, les affections ne ressemblent à rien. Ils ne ressemblent à rien, ces pantins tout cassés, des fissures sur les articulations - ça grince, ça rouille.
Ca grouille dans leur chair, ces fantômes qui n'ont plus de visage, n'ont plus que la voix de ces familles maladroites.
Yeon lui a appris, à Rin, que ce n'était pas normal. Lui a appris à ne pas tout accepter, quand les poings tombaient sur sa peau comme les goutes de pluie. Elle n'avait pas peur, Rin - seulement de le voir disparaître.
Elle aurait tué pour lui.
Aurait brûlé le monde entièrement, pour le voir sourire, le voir heureux.
Bonheur factice, maquille leurs masques jour et nuit, mais ensemble, ils ne savent plus faire semblant. Rin est trop souvent elle-même, quand elle se glisse à ses côtés, que ses mains se perdent dans ses cheveux comme cette nuit-là où les démons gravitent autour d'eux. De quoi tu as peur Yeon ?

Ses doigts glissent contre les bleus tatoués contre sa peau, elle soupire, fonce les sourcils. Who did this? Qu'elle murmure, relevant le bout de son nez vers lui - ils partagent parfois ces draps, quand les nuits se font cruelles et que les cauchemars hantent ces esprits trop dérangés. Elle cherche parfois sa chaleur - comme un jumeau retrouvé, âme qui complète la sienne. Elle ne ferait rien sans toi.

il n'y avait pas besoin de rendez-vous entre eux, seulement un appel du coeur que chacun semblait être en mesure d'entendre. pas besoin de mots, pas besoin d'appeler ou implorer, il suffisait que son coeur vibre et que rin soit là. peut-être était-ce là son réel pouvoir, être capable de se manifester face à lui sans qu'il n'ait besoin de demander. et ce soir aussi, même sans se l'avouer, il avait silencieusement besoin de sa présence. et à peine  yeon rentré chez lui, avant même qu'il ne se pose et laisse immerger l'idée de peut-être aller à la recherche de rin, c'est la présence familière de la jeune femme qu'il perçoit.
il est dos à elle, ses mains affairées à laver une tasse de café abondonnée du matinée avant qu'il n'ait quitté l'appartement pour le boulot, yeon se tourne instinctivement vers elle.
ses yeux frôlent la silhouette de la jeune femme, ses lèvres demeurent mutines quand les doigts de rin glissent le long de ses bras. le toucher est tendre mais ce n'est pas pour autant qu'il ne lui cause pas une légère douleur. seulement, yeon ne bouge pas, son bras libre se contente d'entourer la taille de rin puis de l'amener vers elle en une longue étreinte.
à chaque fois qu'ils étaient ensemble, yeon revient en arrière. l'impression de n'être encore qu'un enfant et tous les souvenirs qui en resurgissent. à présent il avait grandi, rin devait lever haut la tête au ciel pour croiser son regard et pourtant, il ne sait toujours pas comment la protéger. 'no one, it's fine.' qu'il murmure doucement avant de déposer un baiser sur le haut de sa tête. 'are you hungry, love? let me make you something.'

Et Yeon, tu le sais,
C'est toi et moi,
Contre ce monde.

Car quand elle voit ces traces bleutées sur la peau de Yeon, ça torture son coeur, soulève ses entrailles. Comme s'ils partageaient la même chair, le même corps. Yeon est une âme qui complète la sienne, lui qu'elle voudrait protéger quand il n'aime que les démons et leurs beaux visages - leurs poings qui s'écrasent contre sa belle gueule.
Rin ne comprend pas,
Ne comprendrait jamais, si elle savait.
Pourquoi il se torture autant pour pouvoir ressentir un sentiment ?
Pourquoi ?
Ca hante son crâne, sa tête, ne la quitte pas même lorsqu'il ose l'étreindre, ses bras ont la chaleur des mensonges, et ses lèvres murmurent des illusions que, pour lui, elle vient croire. You know, i can kill, if someone hurt you. Don't hesitate. Just ask me. For you, i'll do anything. Car ses mains sont déjà sales, le sang s'en écoule, des rivières contre ses paumes douées pour rien -
Seulement pour déchirer les peaux, créer des cauchemars partout où elle passe.
I... Elle soupire, presque prête à se résigner, mais dans sa tête, ça ne veut pas la laisser tranquille. I know you wouldn’t lie to me.
Mensonge.
MENSONGE.

Mais quand elle croise son regard - elle ne voit pas les non-dits à l'intérieur, se contente d'un beau sourire, hochant la tête.
Oui, elle a faim.
Mais tu sais Yeon,
Pour toi, elle pourrait se repaitre de toutes les âmes de cet univers.

‘ i know, i know, i know.’ mots devenus mantra sur ses lèvres, répétés encore et encore, bien que lui-même ne se lasse jamais d’entendre les limites que rin était prête à transgresser pour lui seul, camé de cette adoration qu’elle avait pour lui et qu’il ne cessait de lui réciproquer à chaque fois qu’il en était capable.
il l’aimait tout autant, aimerait tant s’abandonner en confessions et larmes de rage entre ses bras, seulement, une part de lui désire secrètement préserver à rin. ou du moins, s’il y’avait des poussières à rescaper.

‘i’d never lie to you.’ qu’il confirme à son tour, serrant ce corps faussement frêle contre le sien, alors même que les paroles qu’il déverse ne sont qu’un flot de mensonge. ils ne sont plus des enfants,

plus jeune, sa bouche ne savait dire que la vérité quand il était en présence de rin. mais à présent, tout est différent.

‘i’m fine, i’m really fine.’ mots hachurés alors que ses doigts glacials s’accrochent fort au haut de la jeune femme, l’amenant un peu plus vers lui, se laissant bercer par son odeur et les battements de son cœur. ‘let me just take care of you, please ?’ presque un supplice, il en avait besoin pour oublier. peut-être pour se sentir un peu moins minable.

Spectre de la vie qu'elle ne comprend pas,
Et au fond, ça a toujours été comme ça entre eux. Y'a le mystère qui s'infiltre entre leurs paroles, des vérités à peine prononcées, et des secrets qui nécrosent ces âmes qui n'ont jamais connu la lumière, jamais ailleurs qu'entre leurs bras et étreintes mutuelles.
Rin pourrait imploser, là, maintenant. Embraser le monde de sa foudre, de colère, de peine pour celui qu'elle aime tant chérir, Rin pourrait tout détruire, si seulement il lui demandait, se mettait à genoux pour la supplier - de tous les tuer.
Elle n'est plus rien de la femme qu'elle a été un jour - porte maintenant les traits d'un monstre que l'on craint, que l'on recherche, qu'on voudrait voir crever en prison jusqu'à la fin des temps. Alors pourquoi s'accroche t-il autant ?
Pourquoi continue t-il de l'aimer ?
Lui qui n'est qu'Icare, à s'approcher des cieux pour défier les dieux.
Son nez se fond dans ses vêtements de Yeon, ses yeux clos pour sombrer un peu plus dans la douceur qu'il lui offre, s'autorise à être faible, aujourd'hui, à ses côtés. Parce qu'il n'y a rien à craindre ici - si ce n'est qu'elle même. Hm... Can you cook some gimbap...? Nourriture addiction, ne pourrait s'en passer, car ceux qu'il cuisine sont devenus un réconfort pour elle - un retour à la maison, après la tempête. You're too kind for this world, Yeon. Everything here is cruel... Even me. Qu'elle soupire dans un souffle, passe ses doigts contre la joue de l'homme, admirant un instant ce regars si triste dont elle est trop souvent témoins. How can i make you happy?

Et tu devrais lui dire, Yeon,
Qu'il y a rien d'heureux ici bas.

elle entre ses bras, et le monde lui semble un peu moins gris.
rin avait toujours été ce seul éclat de bonheur de son enfance, des sourires sincères et des rêves naïfs qu’ils n’ont cessés de s’échanger et de s’imaginer. elle avait longtemps été la seule lueur de son existence, et elle demeure l’unique personne de ce passé maudit qu’il avait préservé dans son esprit. tous ses souvenirs sont flous, sauf rin qui contraste au milieu de la brume. il n’est même pas certain de reconnaitre ses propres parents s’ils venaient à se présenter face à lui – bien qu’il se doute que son corps, lui, saura l’en alerter. sa chair n’oubliera sans doute jamais les instigateurs des premiers coups,
ceux à cause de qui, aujourd’hui encore, il se languissait de violence afin de se sentir exister.

il hoche lentement de la tête. ‘i still got some rice from this morning, should be quick.’ ce n’était que des demandes simples, et il ne lui refuserait jamais rien.
ses yeux tombent dans les siens et lentement, sa tête s’appuie contre la paume de la jeune femme alors qu’il se laisse tendrement cajoler de ses caresses. ‘you’re the only person who’s ever called me.’ un soupir doux. émotion brûlante dans la gorge alors qu’il ferme quelques instants afin de mieux apprécier son toucher. il était habitué à pires adjectifs – a freak, mais il préfère croire les paroles de rin. ‘you’re here, and i’m happy.’ qu’il la rassure, alors que sa main froide vient couvrir cette paume avant d’y déposer un baiser. il finit par inverser leurs positions et dépose rin sur la table tel un enfant avant de se glisser vers le plan de travail où il s’affaire à rapidement préparer les ingrédients. gestes rapides et maitrisés, un simple ‘tuna or bulgogi ?’ qu’il lui demande alors qu’il finalise tranquillement le plat. ‘do you wanna have a drink with me later ?’

Rien d'autre qu'une poupée,
Rien d'autre qu'un corps en plus,
Vibrant sous les battements inutiles d'un coeur déjà brûlé.
C'est dans tes bras qu'elle aurait aimé trouver le repos, il y a quelques années, et c'est dans tes bras aujourd'hui, elle se repose l'esprit, car ici, il n'y a rien, pas le bruit incessant de la ville, des appartements miteux qu'elle squatte, encore et encore, changeant constamment de foyer (au fond, elle n'a nul part où aller, le monde est à fuir)
I'll always call you. Forever. You're my home, Yeon. Le sérieux de son visage se brise un instant en un sourire qui se fait rare sur les traits de la jeune femme - préférant le sérieux aux confessions mielleuse dont elle se livrait pourtant ce soir, laissant les lèvres de l'homme se déposer contre sa peau - il est l'un des seuls à en avoir le droit, privilège divin qu'elle n'offre qu'à ceux qui ont réussi à capturer son coeur comme sa confiance.
Tuna, i'm more a fish lover, than a meat lover. Alors abandonnée, son corps s'installe sur l'une des chaises autour de la table - le dos droit, comme toujours, la posture stricte, c'est comme ça qu'elle a été élevée (non, torturée), ses avants bras sur la table, attendant, sagement, ses yeux se plissent un instant à sa demande. Is there a reason for you to go out for a drink? Une petite voix de sa tête répond Do we need one?, mais ça ne franchit pas ses lèvres, laissant la place à une réponse de sa part, alors que son estomac se réveille, lentement, à l'odeur salé, mélangée à un brin de sucre, qui envahi la cuisine.