If I only could - (rp libre)

Tu nages avec les sirènes. Il y a plein de poissons échoués sur la rive. Ça pue, même ; comme une ambulance qui s'en va lumière éteinte. Une odeur de poussière, de cendres et de cent cigarettes éteintes. Les rapides s'agitent à ne plus s'entendre. Les rapides s'agitent à ne plus s'voir non plus. Tu côtoies un ballet de capes, de casques et de cagoules. Tous demandent tes directives ; les hauts-gradés restent à la barre du navire, la sagesse guide l'équipage. De toute façon, c'est pas comme si tu pouvais voler à la rescousse de qui que ce soit. Tu recouds le flanc d'un héros blessé. des gants pour recouvrir ta manucure dorée.

T'as été arrachée du gala pour gérer l'avant-poste de secours. Tu l'tiens avec la rigueur d'une militaire, tu l'diriges avec l'intelligence d'une secouriste. C'est loin d'être ta première catastrophe, ce sera loin d'être ta dernière. Mais c'est la première où t'es clouée au sol, la première que t'es pas une TEN. Tu pourrais t'arracher les plumes de honte ou de culpabilité. La vérité, c'est que t'as même pas le temps d'y penser. Il y a un autre gamin qui te tombe dans les bras ; intoxiquer par la fumée. Puis, il y en a deux autres qui viennent piailler des infos. Trois autres demandent une nouvelle affectation sur le front Est. Du rapace solitaire, t'es passée à maman poule. On a posé ton nid en haut de l'Académie, les poussins se blottissent dans tes plumes. Il y en a plus que quelques uns sous ton aile ; on se sait que couver par toi, il y a plus de chance de se trouver haut dans l'Arbre.

À l'orée de ton avant-poste, tu briefes une équipe réduite ; une opération d'éclairage. Trois indications, deux bons conseils et un rapport de situation. Il suffit de ça pour les envoyer comme des grands dans la mêlée. Elle a une odeur de fin du monde la mêlée. Un océan en flamme, une torche de béton qui brûle dans la nuit. Tu te roules la nuque, t'étires le dos. À force de courir partout, c'est toi qui va finir par t'effondrer. T'inspires un grand coup, tu ravales ton soupire ; tu maintiens tes tripes en place, tu distilles la douleur dans tes os.

« — S’il vous plait. »

La plainte grésille dans ton dos. La voix presque bouffée par une sirène qui s'époumone à une rue de distance. Son poids tombe contre tes vertèbres ; il y a trop de cendres, trop de sueurs. Il y a trop d'humidité pour être importunée de son front trempé. Tu calmes ton sursaut ; elle t'a faite peur la conne. Tu te tournes avec douceur, de peur de briser ce qu'il reste de la voix. Nez à nez avec elle, tu te dis que t'as bien fait ; en un tour de hanche, tu l'aurais balayé. Plutôt que son front contre tes omoplates, tu récupères ses avant-bras dans tes mains. Tu la soutiens pendant qu'elle déverse son flot d'adrénaline sur toi. T'en as aucune vraiment foutre idée de qui est Carmine, mais elle : tu sais qui c'est. Derrière la cendre et la crasse, tu reconnais le costume d'une constellation. Toi, tu parais bien pâle dans ton uniforme de pompier. Il y a bien ton grade qui te pare de fierté et la mention "ICARUS" sur l'emblème : un rappel de ta gloire d'avant. D'ailleurs, en tant qu'ancienne TEN, Savior-Man et Tomie, ils trainent dans tes contacts. Leur fille geint dans tes mains, dégueulée du brasier comme une étoile filante. C'est à toi de pas merder maintenant.

« — Shooting Star, c'est ça ? que tu lui demandes rhétoriquement. Ta voix douce trahit pas ton sérieux. Tu effaces le sourire qu'aurait l'air de la prendre pour une clown. T'écoutes vraiment ce qu'elle raconte. Tu vas t'asseoir, j'vais m'assurer que t'aies rien de grave. Tu me racontes ce qu'il s'est passé et j'envoie une équipe chercher Carmine. »
 
Tu décroches le talkie à ta ceinture. Tu commandes une trousse de secours. On te réponds dans la seconde, t'as pas besoin de te faire répéter. Les blessés, sauf si t'as le temps, tu les envoies dans les mains des secouristes. Or là, pas question pour toi de balancer la môme dans les mains de n'importe quel type. Tu t'en charges ; l'oiseau sans ailes soigne les étoiles.