Je suis l'ex que personne ne craint, car clairement, je ne veux en récupérer aucun. || Jiji & Jiji

Quatre coups exactement ; Jiji frappait toujours le même nombre de coups depuis qu’ils se connaissaient. C’était devenu un rituel implicite auquel il était incapable de déroger même s’il n’y avait aucune règle qui l’imposait : un peu comme l’idée de marcher uniquement sur les bandes blanches des passages piétons. Avant que le panneau ne pivote, Jiji se fit une promesse : il ne chialerait pas comme une madeleine. Il se devait d’apporter du bonheur et de la douceur aux gens, devant et derrière l’écran, et Jihun n’avait pas à supporter ses mauvaises humeurs.

Mais Orion était parti.
Comme ça, d’un claquement de doigts. Son mentor s’était volatilisé de nouveau. La première fois c’était il y a 8 ans quand il avait été incarcéré. C’avait foutu ses mécanismes de protection en l’air et sa scolarité avec. Quand il était enfin sorti en début d’année, Jiji avait nourri l’espoir de se remettre en selle et d’être enfin diplômé.
Maintenant, c’était foutu pour de bon, même si Kami lui avait dit le contraire et que ça ne remettait en rien ses capacités.
Quelles capacités, même ?

La porte s’ouvrit. Jiji se décolla du mur et leva ses deux mains au bout des doigts desquelles pendaient des sacs de bouffe et de boisson qui laissaient présager une excellente soirée entre potes.

« COUCOU ! » clama-t-il. « Comment ça va ? »

Son regard rencontra celui de Jihun et il se passa quelque chose d’authentique ; une énergie puissante qui s’enroulait autour de vous et qui signifiait sans mots tout va bien, tu es en sécurité maintenant.

« Ca faisait longtemps. » souffla Jiji.

Et brusquement, il fondit en larmes.

Comment ça, qu’est-ce qu’il faisait là ?
Ah merde.

« Putain je suis désolé mec j’étais persuadé de t’avoir envoyé un message, j’ai de le faire dans ma tête. J’te dérange pas j’espère ? »

Il essaya de se reprendre, hoquetant piteusement. Y’a qu’à Jihun qu’il pouvait faire ça, parce que Seulgi méritait pas ce genre de choses même si c’était son BFF. Au moins Jihun l’avait vu trimer depuis assez longtemps pour comprendre qui était Orion, son ancien mentor, pour lui. Il ne devrait pas expliquer toute la situation, ou peut-être que si ? Il ne savait pas, il ne savait plus rien.
C’était foutrement humiliant de devoir fondre en larmes sur le paillasson d’un pote ; heureusement qu’il n’était pas diplômé en un sens, et surtout pas dans une class assez haute. Imagine, devoir surveiller ton image en permanence même quand ça va pas du tout ? Quel cauchemar.

« C’est...putain j’suis désolé c’est vraiment pas grave à la base, je sais pas pourquoi j’réagis comme ça. »

Les mains de Jihun sur ses épaules constituaient un apaisement indescriptible. Il tendit la main derrière lui pour refermer la porte et préserver un minimum leur intimité, et passa ses doigts sous ses yeux pour effacer les larmes, épongeant en même temps l’anti-cernes qu’il y avait déposé et qui cachait la misère incrustée dans son derme à force d’insomnies.

« Tu te souviens de mon ancien mentor ? Il était sorti de prison. On avait pu reprendre mon apprentissage pas officiellement parce qu’il avait été déclassé, et là...j’apprends qu’il a disparu. Volontairement. Il a déménagé d’Athena, personne sait où il est allé. Il a juste...pfuit. Volatilisé. »

Il soupira, la poitrine compressée par une tristesse inextinguible.

« J’ai l’impression que mon monde s’écroule, ptain. C’est pas encore cette année que j’serai diplômé, je crois. »

C’était drôle, au début, d’être le petit raté d’Athena. Ca faisait rire les filles et soupirer ses parents.
Mais c’était plus drôle, maintenant.
Pas au bout de quinze ans.

Le corps de Jiji se laissa tomber sur le canapé comme s’il n’était qu’une poupée de chiffons. Maintenant qu’il était en sécurité avec Jihun, tout son squelette lui semblait lourd et ses muscles crispés de partout. Il se rendit compte que les larmes qui affluaient au bord de ses yeux rougis provenaient davantage de la fatigue que d’une réelle sensation de tristesse. Le deuil de la présence d’Orion avait été fait lorsqu’il avait été incarcéré 8 ans auparavant. Mais ce que Jiji trouvait injuste, c’était qu’il soit parti sans lui dire au revoir, alors qu’il n’avait même pas pris le temps de se faire à son retour.

« La dernière conversation que j’ai eue avec lui, il m’a parlé de gros troubles psy. » Et d’une tentative d’en finir accessoirement, bon. « J’espère qu’il est juste parti se faire soigner comme il le mérite. »

Il essayait de s’en convaincre en le disant à haute voix, mais il savait que c’était faux, et qu’Orion ne reviendrait pas. Ca lui foutait les nerfs en pelote et ça lui donnait envie de se rouler en boule sous sa couette pour le restant de l’été.
Heureusement, l’énergie de Jihun eut le mérite de lui mettre du baume au coeur et de lui réchauffer un peu sa poitrine toute froide.

« T’as raison. » Il renifla piteusement. « Pas sûr que j’serai célèbre même si je réussis. Mais t’as raison. J’me sens juste un peu abandonné ces derniers temps. »

Il passa une main dans ses cheveux, ce qui eut pour effet de faire basculer sa capuche sur ses épaules.

« J’peux dormir chez toi c’soir ? J’sens que si j’rentre à Athena après j’vais déprimer de fou. »

« Je sais bro, heureusement que t’es là d’ailleurs. »

Il lui tapota l’épaule comme si c’était Jihun qui avait besoin de soutien alors que c’était lui qui se soutenait en soutenant les autres comme d’habitude – c’était d’ailleurs la raison pour laquelle sa chaîne ASMR existait. Parfois il en voulait à Jihun de pas faire preuve de plus de compassion, mais une fois la tristesse passée, il le remerciait intérieurement d’être trop terre à terre. Ca lui permettait de s’ancrer dans la réalité et de sortir des méandres de son imagination qui lui attribuait tous les maux du monde parce qu’il n’avait pas exécuté telle action, ou dit telle phrase à tel moment.
Il lui asséna une claque sur le bras dans un rire.

« Mais j’vais dormir sur ton canap’ enfin mec tu t’imaginais quoi au juste ? »

Sans doute pas grand-chose, y’avait pas plus hétéro que Jihun et c’était mieux comme ça. C’était pas tiptop d’avoir des ambiguités dans les amitiés ; ces dernières étaient pour Jiji bien plus précieuses. Il abandonna les sacs à Jihun et se laissa aller sur son canapé, fixant le plafond qui avait subi les multiples variations du temps – c’était une araignée ou une poussière dans le coin ?

« J’ai pris des p’tits trucs apéro parce que je savais pas à quel point t’étais occupé et que j’pouvais rester et tout, alors jsuis passé au convenience store auquel tu vas tout le temps en bas d’chez toi et j’ai dit à la vendeuse comme Jiji prend d’habitude et elle m’a fait un petit panaché. Elle te connaît vraiment bien. Soit tu y passes gavé trop de temps soit... »

Il baissa les yeux sur lui, ça aurait presque pu être sensuel s’ils n’étaient pas rougis par les larmes et que Jiji n’avait aucune espèce de romantisme en lui.

« Soit elle en pince pour toi. »